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                        SOUVENIRS D'ALGER                          337
posent leur marchandise, planté d'une trentaine de platanes mori-
bonds, et d'un plus petit nombre de palmiers malades, ce rectangle
relie sous le nom de Place du Gouvernement la rue Bab-Azoun à la
rue Bab-el-Oued. C'est « le boulevard des Italiens», le cœur d'Alger.
On trouve là pour deux sous, presque à l'ombre, une chaise presque
propre, entre une nourrice, un retraité et un poitrinaire, et, pour peu
qu'on possède des poumons blindés contre la poussière, des
narines refractaires aux mauvaises odeurs, une patience à l'épreuve
des marchands de curiosités, des cireurs de bottes et des porteurs
de journaux, on jouit d'un coupd'œil extrêmement original. Pêle-
mêle chatoyant de races et de costumes où passent et repassent
avec la rapidité gaie du mouvement parisien, le blanc, le jaune, le
noir et les nombreuses nuances intermédiaires, le français, l'algé-
rien, l'anglais, l'anglo-maltais, l'espagnol de Murcie et l'espa-
gnol des Baléares, l'arabe de la tente et l'arabe de la ville, le juif,
le cafre et toutes les dames de tous des messieurs ; des cheveux
noirs, blonds, châtains, blancs, plats;'frisés, crépus, en nattes, en
bandeaux, en repentirs, en chien fou ; des yeux d'or, de saphir, de
diamant noir, de porcelaine, étincelants, éteints, chassieux, purs,
avivés de noir, cerclés de rouge, des yeux de faucon, de gazelle,
de bœuf, de poisson mort ; des nez droits, des nez tors, des nez
camards, des nez en battant de cloche et pas de nez du tout ; des
bouches noires aux dents blanches et des bouches roses aux dents
noires, calices de fleurs et gueules d'égoûts ; des tuyaux de poêle,
 des panamas, des casques, des casquettes à ponts, des turbans avec
 ou sanscordes en poil de chameau, des chéchias écarlates, des fèz,
 des chapeaux de la bonne faiseuse, des fleurs, des plumes, des
bonnets, des mouchoirs, des madras, des mantilles, des uniformes,
des redingotes, des vestons de velours andalouset des vestes arabes
aux broderies bizarres, des burnous à capuchons, des robes de
Paris, d'Alger et de Mahon, de grandes draperies bleues, blanches,
rayées de rouge, des gilets polychromes, des pantalons étroits et
des jupons larges aux plis flottants, des bottines, dessouliers.de
hautes bottes en maroquin, des espadrilles, des sandales, des pieds
 nus, des naissances de jambes sculpturales et d'ignobles éléphan-
tiasis; la vulgarité, l'élégance, la sveltesse, l'embonpoint, la rai-
 deur, la grâce, la laideur, la beauté, un arc-en-ciel de toilettes et
   OCTOBRE 1883. — t.   VI.                                   22