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554                  LA RKVUK LYONNAISE
plein du va-et-vient des soldats, de la clameur des trompettes et
du roulement des tambours, invariablement désert et sombre dès
huit heures du soir.
   On arrive en deux heures aux gorges de la « Chiffa », en pas-
sant par l'auberge du Ruisseau des Singes où la tradition veut qu'on
déjeûne. La tradition a tort une fois de plus. Un artiste inconnu
« qui n'a pas dit son nom et qu'on n'a pas revu », un officier, je
crois, a peint sur les murailles de la salle à manger des groupes de
singes acrobates, musiciens, amoureux, d'un joli dessin mouvementé
et spirituel, mais il serait tout à fait inexact de dire que la vue n'en
coûte rien. Déjeûner plus que médiocre et plus que cher. Le sel,
dont la cuisine manque, se retrouve libéralement sur la note. Au
moment de partir, le capitaine d'état- major qui m'accompagne,
pris d'une douleur subite, se frotte nerveusement la jambe droite
traversée par une balle en 1870, et ponctue cette pantomime par
une kyrielle de plaintes et de jurons : « Mille tonnerres ! mille
bombes ! souffrir par un si beau temps ! Il doit y avoir un Prussien
dans les environs. » Et il me raconte que, depuis sa blessure,
l'approche de l'ennemi héréditaire et l'approche de l'orage lui ont
toujours produit le même effet. Inexplicables phénomènes du ma-
gnétisme! Il jurait et se frottait encore que nous voyons surgir un
personnage taillé en flûte de Pan, flottant dans une redingote
longue, les yeux abrités sous de grosses lunettes bleues, les cheveux
jaunes et plats, tout à fait l'apparence si souvent décrite d'un
inscrit au budget des reptiles. Il a, quand il s'adresse au garçon,
l'accent de son apparence. Pour plus de sûreté, nous jetons un
regard indiscret sur le registre de l'auberge où il loge depuis plu-
sieurs jours, et nous y lisons cette mention d'une écriture ferme,
respirant l'orgueil et le défi : « Wilhelm Moser, photographe, né
et demeurant à Berlin. » — « Allons-nous-en! » hurle le capitaine
exaspéré, et, après deux heures de promenade, nous nous dirigeons
vers les gorges de la Chiffa. Des gorges assez profondes avec des
cailloux blancs assez nombreux, lavés par une eau discrète. En
haut : des collines maigrement couvertes de petit gazon, de petites
racines et de petits arbres; habitées, dit-on, par des singes que
 nous n'avons pas vus, et que je soupçonne être fournis par l'éta-
blissement voisin les jours où passent des voyageurs d'importance.