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                       SOUVENIRS D'ALGER                             555

De dislance en distance, le long des crêtes, quelques naïades exilées
là pour leurs péchés vident leurs urnes goutte à goutte, des urnes
qu'elles doivent remplir de leurs larmes, et, dans ce pays de la
soif, ces gouttes s'appellent des cascades. Les journaux d'Alger,
qui ne doutent rien, parlent de les utiliser en leur appliquant le
principe récemment découvert du transport des forces à grande
distances u moyen de l'électricité. «Voyez-vous — s'écrie l'un d'eux,
dans un accès de lyrisme comique — voyez-vous les cascades de la
Chiffa faisant tourner les moulins d'Alger! » Si la Garonne avait
 voulu, elle aurait dégelé le pôle ; la Garonne n'a pas voulu... Il est
à craindre que l'eau de la Chiffa, malgré les sollicitations de l'élec-
tricité, ne veuille pas faire tourner les moulins d'Alger. Paysage
 décevant, somme toute, où je ne trouve guère à admirer que la route
 hardie creusée par nos soldats, et les jeux superbes, toujours su-
 perbes, de la grande lumière africaine. Subitement, à cinquante
 pas devant nous, se dresse un appareil photographique, et debout,
 derrière, le jaune et long personnage de tout à l'heure. Le capitaine
 se refrotte rageusement la jambe, et, les yeux étincelants, les dents
 serrées, semble se demander si le moment n'est pas venu de com-
 mettre un crime patriotique. Son slougui, répondant, quand il
 répond, au nom de « Zarzour » (étourneau), le regarde, et, sans un
 mot, sans un signe, comme par une intuition mystérieuse de la pen-
 sée de son maître, s'élance au milieu d'une douzaine de petits ânes
 qui passent par là d'aventure, et, sournoisement, en jette un sur,
 l'appareil qui dégringole au fond de l'Oued, accompagné par toutes
 les expressions d'un désespoir prussien de première classe. « Va
 mieux, va mieux ! «'flûtait le capitaine en continuant sa friction, mais
 en y mettant cette fois la lenteur d'une caresse. Ce n'est pas cela,
 je le sais trop, qui nous rendra l'Alsace et la Lorraine ; que voulez-
 vous ! en attendant, cela fait plaisir tout de même. Fromentin s'irri-
 tait de rencontrer un Auvergnat jouant de l'orgue dans la vallée de
 laMitidja, moi, qui n'ai ni le même enthousiasme, ni le même besoin
 de recueillement, j'ai su gré à cet Allemand d'avoir animé p a r l a
 catastrophe de son appareil les solitudes et les vulgarités de la Chiffa.



   De l'autre côté d'Alger, après la pointe Pescade, les montagnes