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SOUVENIRS D'ALGER 553 du pourpre au violet : la lanterne magique de la grande lumière ! On m'affirme que je suis injuste, qu'on comprendrait mes criti- ques s'adressant à la vallée du Chélif, mais que j'aurais dû les épargner à la Mitidja, que du reste j'ai eu tort de venir en octobre, que quelques mois plus tôt, les moissons, des moissons superbes réjouissaient l'œil et qu'il en pousse deux par an ; c'est possible. On ajoute que l'humus y a jusqu'à trois mètres d'épaisseur, ce qui est capital au point de vue agricole ; je n'en disconviens pas. Mais, que voulez-vous, il y aurait encore plus de moissons et plus d'hu- mus que vous n'en feriez pas un paysage. Il reste la ressource de se placer au point de vue agricole, comment s'y prend-on ? j'avoue que je n'en sais rien du tout, l'éducation était si négligée de mon temps. Blidah, que les Arabes appellent « Hourida » (petite rose) et encore « El Moumissa » (la prostituée), est un gros village de six a sept mille habitants entouré d'une muraille blanche, coquette- ment posé dans un massif de verdure, au pied de montagnes moins rapprochées, moins nues et moins tristes que celles d'Alger. Les orangers, les fameux orangers ne sont pas des mythes, je les ai vus cachant l'or de leurs fruits sous le vert lustré de leur feuillage, égayant la campagne, les avenues et les places, réveillant chez le touriste surpris le fabuleux et si lointain souvenir des Hespérides. Je n'ai pas eu de peine à croire qu'au temps de la floraison ils em- baument l'atmosphère à plusieurs lieues à la ronde. Il y a aussi de l'eau à Blidah, il y a même des jets d'eau, ce qui paraît inso- lent quand on pense à la soif d'Alger. Il y a encore au dépôt de remonte des étalons blancs et noirs, arabes et syriens, de g r a - cieuse et fière allure. Il y a enfin dans un jardin public, surnommé, on n'a jamais bien su pourquoi : Le Bois Sacré, un peu plus grand que le tablier d'une ménagère bretonne, quelques oliviers cente- naires dont les torsions et l'échevellement pittoresques se prêtent à de jolis jeux d'ombre et de lumière et qui rappellent à s'y mépren- dre ces arbres fantastiques à figures et à expressions humaines, jetés à profusion dans les paysages de Gustave Doré. Quand vous avez vu cela, ce qui n'est pas long, vous êtes en règle avec toutes les curiosités, toutes les beautés de l'endroit, il ne vous reste qu'à prendre le train, à moins que vous ne trouviez un plaisir quelcon- que à respirer plus longtemps l'air de ce Landerneau d'Afrique» DÉCEMBRE 1883. — T. V I . 36