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522 LA REVUE LYONNAISE connaître un homme soit de suivre la trace de ses pensées dans ses écrits intimes, dans ceux qu'il ne destinait pas au grand jour, et qu'il réservait pour lui seul; le procédé n'est pas assurément infaillible, car l'amour-propre est trop ingénieux pour ne pas sou- vent se mentir à lui-même jusque dans ces entretiens secrets ; mais ,de tous les objectifs, celui-ci est encore le moins trompeur. Si l'homme n'y apparaît pas tout entier, si sa vie publique y reste enveloppée de bien des voiles, il est du moins possible de sonder son âme, de découvrir le fond de sa nature, d'en mettre à nu les fibres les plus ignorées et les plus délicates, d'établir enfin entre sa conscience et ses actes la relation nécessaire sans laquelle l'être humain, libre des uns, mais jamais affranchi de l'autre, s'abaisse - rait au-dessous delà brute. La mémoire d'Augustin Gochin n'a rien à craindre de cet examen posthume, moins étendu peut-être, mais non moins sévère que les jugements des morts pratiqués dans la vieille Egypte. Que dis-je? Elle a tout à y gagner au contraire, car, chose étrangère grand homme de bien, si en dehors, si répandu et en même temps si dispersé, dont la main prodigue se mêla à tant d'œuvres géné- reuses et utiles, auxquelles il imprima son esprit tout en oubliant d'y attacher son nom, ce saint Vincent de Paul laïque, toujours prêt au dévouement, qui ne laissa jamais une infortune sans sou- lagement ni une douleur sans consolation, au point de se comparer lui-même gaiement à « une voiture de place que chacun prend à volonté », cette intelligence si active et si parisienne, qui ne fuyait pas la foule, qui la recherchait même, non pour la flatter, mais pour la guérir, et qui, tout en bravant ses folies, faillit un jour devenir populaire, ce chrétien des temps antiques, dont les fortes croyances tranchaient si nettement sur le scepticisme et l'incrédu- lité modernes, n'est qu'à demi connu dans un monde qui n'ignore rien des vulgaires célébrités de nos boulevards. Il est mort à qua- rante-huit ans, après avoir semé sa vie dans les luttes pour la religion et pour la patrie, mais sans avoir achevé son œuvre ni donné sa mesure; ses livres, ses conférences, ses travaux de polé- miste, ses brillantes escarmouches dans la presse, ses créations charitables, son rôle municipal, ses candidatures politiques, sa campagne pour la liberté d'enseignement, ses fonctions administra-