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516                        LA R E V U E     LYONNAISE

dignité de Grand-Maître, n'était point l'homme des résolutions généreuses. Sa con-
duite incompréhensible a donné lieu à bien des soupçons. Trahit-il la cause pour
laquelle il aurait dû répandre son sang jusqu'à la dernière goutte? Est-ce, au
contraire, l'effet d'une simple faiblesse qui l'empêcha de défendre ces murailles
qu'on regardait i comme imprenables, opinion que semblaient partager ceux qui
devaient les attaquer? L'histoire hésiste à se prononcer. Pour Doublet, il n'y a
eu nulle trahison, et il s'attache, dans tout le cours de ses Mémoires, à prouver
l'innocence du Grand-Maître et celle des autres personnes qui, dit-il, « en furent
avec lui si injustement inculpées ». Il nous représente Homspech comme ayant
perdu la tête dès le premier moment, ne sachant que faire, qu'ordonner, justifiant
de la manière la plus complète le mot du poète :
                   Quos vult perdere Jupiter       dementat.
   Il envoie des de'putés pour traiter de la capitulation, et les laisse partir,sans même
leur avoir donné d'instructions, leur permettant de se guider d'après la tournure
que prendrait la discussion. C'était assurément pousser fort loin l'opportunisme.
Dans le traité intervenu l'on oublie de mentionner que l'Ordre conservera le
droit d'emporter avec lui ses archives, et lorsqu'on s'avise d'y songer, il est trop
tard, Bonaparte ne veut rien entendre ni revenir sur ce qui a été fait. Que d'hu-
miliations qui auraient pu être évitées avec un peu de fermeté ! et quel mépris
dut concevoir Bonaparte pour ces fameux chevaliers qui attendaient en tremblant
la décision que laisseraient échapper ses lèvres impérieuses. C'est ainsi que s'ef-
fondra l'ordre de Malte, sans secousse, et comme un fruit gâté qui, au moindre
vent, se détache de lui-même de l'arbre où il ne tenait plus que comme par
miracle.
   Quelle que puisse être l'appréciation de chacun sur cet épisode historique, on ne
lira pas sans intérêt les Mémoires de Doublet. Us sont écrits avec une simplicité
parfois un peu naïve : l'excellent homme cherche trop à faire le personnage d'im-
portance et à enfler son mérite. Malgré cela, on y rencontre de curieux détails,
d'utiles renseignements, et un récit attachant, parce qu'il a toutes les apparences
de la sincérité.                                               CH. LAVENIR.




      ROME SOUS LÉON XIII (notes et souvenirs d'un voyage a Rome en 1883), par
       Mgr ANT. RICARD, prélat de la maison de Sa Sainteté, professeur de théo-
       logie dogmatique aux facultés d'Aix et de Marseille. — Paris. E. Pion et
       C'°, 1884. Un vol. in-8". Prix : 2 fr. 50.
   On est frappé, en lisant ces pages du caractère profondément personnel et
original dont l'auteur a su les empreindre. Je n'insiste pas sur cette idée; car la
note du talent de Mgr Ricard est suffisamment connue de tous, grâce à ses belles
études sur l'école menaisienne.
  Il y a dans ces souvenirs de Rome deux tournures d'esprit particulières : une
bonne humeur charmante qui n'exclue pas toujours une légère pointe de malice,
quand le conteur touche à certains incidents, à certaines petites misères du

  1 On connaît le mot de Cafïarelli-Dufalga, qui dirigeait alors le génie. « Félicitons-
nous, dit-il en franchissant les remparts, de ce qu'il s"est trouvé dans la place quel-
qu'un pour nous en ouvrir les portes »,