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SOUVENIRS D'ALGER 467 un long exil, elle est livrée à la basse presse locale qui, sûre de l'impunité, fière d'avoir fait révoquer un premier président ou un président de chambre, l'espionnne, la dénonce, et la couvre en toute occasion de railleries et d'outrages dont le cynisme égale la bêtise. Un plaideur mécontent, élevé sans doute à cette école, vient d'assassiner un président en pleine audience, à quelques kilo- mètres d'Alger, on lui a trouvé des circonstances atténuantes. Mon Dieu, je ne prétends pas que la corporation soit d'une essence supérieure et à l'abri de toute critique, elle paie comme d'autres son tribut à l'infirmité humaine, elle a ses grotesques. On m'a mon- tré, j'ai vu : le vieux conseiller, dont les ressorts cérébraux ne fonc- tionnent plus et qui laisse tomber son râtelier en ouvrant la bou- che; le conseiller du Danube, farouche, hirsute et sordide, en proie au délire de la persécution ; le candidat perpétuel à tous les postes vacants; le trembleur, qui se fait tout petit pour que les en- nemis delà magistrature ne le voient pas-, le fort endroit, qui n'ad- met pas la discussion; le solennel, qui croit tenir son mandat de la Providence et juge, comme le prêtre officie, dans une apothéose ; le sceptique, pour qui les appointements sont la grosse affaire ; le vieux beau, qui étudie ses effets de torse dans les glaces, incline sa toque sur l'oreille et porte des rabats spécialement gaufrés, à l'adresse delà galerie; le croqueur de types à l'audience; le fabricant de ca- lembours; le littérateur; le cuisinier. C'est assez gai comme sur- face, mais allez au fond et vous y verrez une chose infiniment res- pectable : l'accord de toutes ces consciences dans l'horreur de la prévarication et la recherche delà vérité. Cette chose-là , quoi qu'on en dise, constitue aux yeux des indigènes une de nos plus grandes, une de nos plus incontestables supériorités ; les détourner d'y croire est d'un mauvais Français. Le jury algérien plie sous le nombre croissant des affaires et renoncerait, je crois, sans se faire tirer l'oreille, à cette préroga- tive civique; que ne la lui enlève-t-on ! tout le monde y gagnerait. Que ne le purge-t-on au moins de ces Juifs qui siègent, souvent en costume indigène, et dont la présence horripile à bon droit les Arabes ! Un Arabe jugé, condamné par un Juif, quel comble d'abo- mination ! Un plombier a refusé l'autre jour, à l'instar de Paris, de prêter le serment légal avec la formule : « devant Dieu. » Il