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468 LA REVUE LYONNAISE ne croit pas en Dieu et ne veut en entendre parler sous aucun prétexte. Il y a dans le monde pas mal de gens dont l'éducation a coûté sensiblement plus cher que celle du plombier et qui ont pâli sur cette question sans la résoudre ; le plombier l'a résolue, il est fixé, complètement fixé : un effet de la soudure ! Un autre de ces ma- gistrats en rupture de boutique, ne voulait pas prêter serment du tout, la formule entière lui répugnait : il ne croyait, celui-là , ni à Dieu, ni aux hommes, mais le président lui ayant représenté que l'affaire allait être renvoyée à cause de lui à une autre session, il finit parjurer, pour ne pas faire manquer « la Section », dit-il; paroles mémorables qui témoignaient d'une culture restreinte, mais d'un bon naturel. Le personnage qui prononce le dernier mot au dernier acte des drames judiciaires,porte un nom bien autrement significatif que celui de « Z. Marcas » dont raffolait Balzac. Il s'appelle : « Rasenœud : rasoir, noeud vital : c'est invraisemblable à force d'être approprié, c'est parlant ! De taille haute comme ses œuvres, déjà âgé, il laisse voir les traces de démêlés fâcheux avec la petite vérole, son regard clignotant vous fouille dans le cou par une vieille habitude de prendre mesure. Il fait des souliers pendant les entr'actes profes- sionnels ; frais ou tanné, cuir d'homme ou cuir de bête, c'est tou- jours des cuirs, il en passe quelques-uns dans sa conversation. Jadis ses deux fils l'aidaient, il vient de perdre le plus jeune, celui qui reste a les favoris et la correction d'un notaire de grande ville. De 1852, date de son entrée en exercice, à 1883, Rasenœud a séparé de leurs troncs complices 120 têtes coupables. Dans ce nombre figurent pour le plus gros chiffre proportionnel, les Kabyles, puis les Arabes, les serrant de près ; loin derrière : les ^Espagnols qui sont 5, les Marocains, 4 : les Français, 3 ; la marche funèbre est fermée par 2 nègres du Soudan. Rasenœud se plaint des loisirs que lui crée la clémence de M. Grévy, et, dans son impressionnabilité de sensitive, croit déjà voir abolie cette peine de mort qui le fait vivre, Rasenœud a tort. Comme toutes les insti- tutions humaines, la bourreaucratie est certainement condamnée à disparaître, mais rien n'annonce que ce temps soit proche, en dépit de sa décrépitude, elle aura encore, selon toute%pparence, de beaux étés de la Saint-Martin.