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                       SOUVENIRS D'ALGER                           465
qu'un de ces Bédouins-là peut l'être, m'exprimait en ces termes
son chagrin d'avoir perdu sa mère : « Je l'ai mise là, Monsieur,
au bout du jardin, à la place qu'elle m'avait indiquée souvent, et
c'est une grande consolation pour moi que de lui porter des fleurs
et réciter mon chapelet près de sa tombe. » Mes oreilles s'ouvraient
émerveillées à ces confidences empreintes d'une piété filiale aussi
touchante que rare en ce pays, il continua sur le même ton:
« Une bien bonne mère, Monsieur, malheureusement, elle ne s'en-
tendait pas avec ma femme et j ' a i dû user plus d'une matraque
pour les mettre d'accord. » Un soupir ponctua la phrase de l'ex-
cellent fils. Sa femme, si je ne m'abuse, avait dû recevoir la grosse
part; sa maman, les éclaboussures.
    Ils rossent leurs conjointes, les assomment, les poignardent,
leur font rôtir la plante des pieds, les coupent en morceaux, sous
les prétextes les plus futiles. « Elle était à moi, je l'avais payée, »
telle est toujours la première réponse du bourreau dérangé par la
justice dans son petit travail.
    Quelquefois, rarement, elle se défend ou se venge, la pauvre
marchandise humaine, en égrenant dans la soupe du ménage un peu
du sulfure d'arsenic qui lui sert à s'épiler, et, franchement, il
serait difficile de ne pas lui reconnaître des circonstances atté-
nuantes.
    Quel abîme entre Paris où la femme est si orgueilleusement
reine, et l'Algérie où elle est si humblement esclave !
    Un des modes indigènes d'assassinat les plus originaux consiste
à retourner violemment d'avant en arrière, la tête de la victime.
Les vertèbres craquent, se disjoignent, compriment la moelle, la
mort est foudroyante. C'est une chose atroce, inoubliable, paraît-
il, que le spectacle de cet occiput ramené sur la poitrine, de cette
face de cadavre dans le dos.
    Un décret du 31 décembre 1859 a organisé la justice indigène.
Il y a par circonscription judiciaire un Cadi Maleki (rite musul-
man) et, lorsque le chiffre de la population Haneû (autre rite) le
rend nécessaire, unCadiHanefi. Le personnel de chaque Mahakma
(audience, prétoire) de Cadi se compose du Gadi et de deux Adels
au moins, dont l'un remplit les fonctions de suppléant, l'autre
celles de greffier, de un ou deux Aouns ou huissiers, et d'un certain