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PENSEES 379 philosophe. Les mots sont des coquilles. Ouvrez la coquille, vous trouverez l'amande qui vous délectera. Les mots sont des fossiles; scrutez-les, frappez-les, le passé en jaillira vif et clair comme un silex. Avant la Renaissance, la religion intéressait, même au foyer de famille, même sur la place publique. On n'était pas seulement chrétien à l'église. Pour s'entendre lui-même, pour se faire en- tendre à autrui, le poète pensait et parlait chrétien. La Renais- sance vint qui remit en question ce que l'Evangile avait résolu, secoua le vieil homme qui n'était pas mort, mais seulement endormi, remua ce fond païen, corrompu, revêche et moqueur qui est dans tout homme, et, sous prétexte de liberté et d'art, s'aban- donna corps et âme au mensonge harmonieux, au vice élégant, à la perversité érudite. Toutes sortes de complicités honteuses s'éta- blirent au soleil ou dans l'ombre entre l'intelligence lasse de bien penser, et le cœur fatigué de bien vouloir ; un mirage apparut en travers du chemin, que l'on prit pour le paradis. L'amour décrut, la foi baissa, l'espérance tomba plus bas que le cœur. Ce sens nou- veau que Jésus-Christ avait donné à l'homme restauré et achevé par le baptême fit place au sens dépravé dont parle l'Apôtre. Une seconde fois, tout était Dieu, excepté Dieu même; le « Prince de ce monde », après une disgrâce de plusieurs siècles, remontait sur son trône ; et la civilisation païenne reflorissait. Qu'est-ce que Villon? un païen obscène; Marot? un païen frivole; Ronsard? un païen savant; Malherbe? un païen puriste. Boileau lui-même est un païen; Racine, un païen aussi. Jodelle sacrifiait « pour de bon » un bouc au dieu Bacchus, selon le rite grec; Boileau invoquait gravement, sa perruque en tête, ce Phé- bus et ce Pégase, qui faisaient rire les augures contemporains de Cicéron, et bâiller Horace et Varron, commensaux d'Auguste. Le collège, étroit et monotone, moulait les intelligences, fidèles, le restant de leur vie, à la forme reçue. Où est Jésus? Le retrouvera-t-on après trois jours dans le Temple? Comment le retrouver, si on ne le cherche pas ? Le Dix-huitième siècle ne prend rien au sérieux, pas même Pégase