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                      SOUVENIRS D'ALGER                          351
naie, non seulement sans douleur, mais avec plaisir ! Ici, rien de
pareil. Le monsieur quelconque qui trône derrière son comptoir ne
se dérange jamais à votre approche, il met son orgueil à ne pas
sembler vous voir, il n'a pas basoin de vous, c'est vous qui avez
besoin de lui, vous êtes l'obligé, le corvéable à merci ; sa mine
revêche, son ton sec, sa parole brève vous le font bien sentir.
J'allais oublier dédire qu'il vous surfait invariablement de moitié.
L'ouvrier est taillé sur le même modèle. Ne le demandez, ni quand
le siroco souffle, ni quand la pluie tombe, ni quand il se livre aux
douceurs de la sieste, ni quand il a des besoins d'estomac ou des
besoins de cœur, il ne daignerait même pas vous répondre. En
dehors de ces cas qu'il vous appartient de prévoir, il viendra
quinze jours après votre appel et vous fera pour beaucoup d'argent
une besogne ridicule. La note, par exemple, viendra toute seule, et
pas modeste, je vous en réponds. J'ai connu, intimement connu,
dans un village à quelques kilomètres d'Alger, un vitrier qui ne se
dérangeait jamais à moins d'avoir un minimum de trois vitres à
remettre. Quand, par suite d'un accident quelconque, il vous en
manquait une, il vous fallait, ou procéder vous-même à la répa-
ration, ou en briser deux autres pour obtenir le concours de cet
artiste unique et féroce ; c'est à cette dernière extrémité que ma
maladresse me réduisait toujours. Alger est leparadisdes ouvriers,
des fournisseurs et des domestiques, l'enfer des autres. Les chiens
eux-mêmes, déférents pourtant par nature, prennent dans ce mi-
lieu des allures intransigeantes ; ils ne se détournent pas pour vous
laisser passer, se soulagent entre vos jambes et ne daignent s'a-
percevoir de votre présence que quand vous leur caressez l'échiné
à coups de trique ! Tous libres, tous égaux, tous frères ; c'est à
dégoûter de la République.
   On se figure généralement en France, le pays des préjugés, que
le climat d'Alger est à la fois très doux, très sec et très sain ;
autant d'erreurs ! La thermalité à propos de laquelle les météoro-
logues algériens soutiennent avec ceux de Cannes et de Nice,
dans l'intérêt de leurs marchands de soupe respectifs, des polé-
miques absolument désopilantes, dépasse trop souvent les exigences
des vers à soie. L'humidité est extrême, constante, et, par l'abon-
dante transpiration qu'elle entretient à la surface des corps, rend