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846                    LA REVUE LYONNAISE
  croire qu'il n'existe pas, c'est un odieux mensonge d'hôtelier qui
  a sa boîte à remplir, un abus de confiance, un guet-apens. Le
  siroco n'est rien moins que le glaive flamboyant de l'archange
 invisible préposé à la garde de l'Orient, le glaive qui fait aux occi-
 dentaux téméraires leur première blessure. Vous jouissiez d'un
 appétit formidable, brusquement, sans cause apparente, il vous
 abandonne et vos mets de prédilection vous dégoûtent ; vous dor-
 miez bien, vous ne dormez plus ; vous aviez des jambes excellentes,
 vous ne pouvez plus les mouvoir ; toutes vos articulations jouaient
 librement, elles sont ankylosées et douloureuses ; vous ignoriez
 la migraine, elle vous étreintle crâne dans un étau de fer et de feu ;
 ne cherchez pas, c'est lui. Vous étiez doux et bon, vous devenez
 querelleur et méchant ; c'est toujours lui. Pendant les quatre mois
 de saison chaude, il redouble de fréquence et de violence, alors
 le thermomètre s'approche de 40 centigrades, les oliviers mourant
 de soif tendent vers l'implacable fournaise du ciel leurs longs bras
 maigres, tors et désespérés, l'aigre soprano des cigales tranche
 sur la basse coassante des grenouilles, des myriades de mous-
 tiques et demouches pompent nuit et jour, sans trêve et en musique
le sang appauvri de leurs victimes ; sur tous les nerfs de l'orga-
nisme, comme avec un archet de fer rouge, un Paganini bourreau
joue des variations épileptiques; alors, la bêtise s'enfle jusqu'à
l'idiotisme, la méchanceté s'exaspère jusqu'à la rage et la plus
grande innocence peut être conduite droit aux plus grands crimes.
Il empoisonne en même temps qu'il torture, amenant la plupart
des épidémies, les aggravant toutes. Pour apprécier ses ravages,
il faut quitter l'Algérie en juin et n'y revenir qu'en octobre : vous
rentrez, frais, reposé, gaillard, les malheureux qui n'ont pas
bougé n'ont plus face humaine ; yeux cernés, bouches flétries,
chairs exsangues et flasques que les os percent : des spectres! Les
indigènes eux-mêmes, quoique moins soumis à cette influence, la
subissent pourtant. Il est de notoriété qu'un affreux siroco soufflait
le jour où le dernier dey d'Alger a donné sur les doigts de notre
consul le coup de chasse-mouches qui lui a coûté si cher.