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SOUVENIRS D'ALGER 345 aux vitres ébréchées, aux marchepieds tordus, aux coussins rem- bourrés de noyaux de dattes et enguirlandés des surnoms les plus jolis : Le Jean-Bart, l'Invincible, la Belle-Mahonnaise, la Belle- Espagnole, la Perle d'Alger, le Berceau-d'Amour, Jeanne- d'Arc, le Plaisir-des-Bames, le Petit Va-et-Vient, j'en passe et des meilleurs. Les calèches faites de pièces et de morceaux disparates défient toute description, c'est comme l'Invalide à la tète de bois, il faut les avoir vues pour y croire. Toutes les bêtes attelées à tous ces véhicules sont plus ou moins nourries de caroubes (la caroube est au cheval ce que le haricot est à l'homme) et plus ou moins atteintes de dyspepsie flatulente. Cette flatulence répand dans les environs immédiats et médiats des odeurs analogues à celles que produit un cadavre de vieux Juif exhumé après trois mois de sépul- ture. Je n'ai jamais, je m'empresse de le dire et j'en remercie le ciel, assisté à pareille exhumation, mais je connais une personne qui en connaît une autre, laquelle a mis son nez sur la chose : eh bien, il paraît que c'est la quintessence des quintessences, le bou- quet des bouquets ! Les studieux apprennent l'arabe ou se livrent à des études palpitantes sur les origines du tombeau de la Chré- tienne. Les oisifs patients vont a la pêche. Il est doux de voir filer sa barque sur le dos de la vague berceuse et clémente et de humer à son premier souffle la bonne brise qui vient de France, le malheur est qu'on attrape infiniment plus de rhumatismes que de poissons dans toute l'étendue de cette rade mise à sac parles filets maltais. Après dix tentatives infructueuses, j'ai réussi, un jour que le temps était exceptionnellement propice, à ramener un joli pois- son rose, long et large d'un doigt, encore n'était-il pas au bout de ma ligne, mais au bout d'une ligne voisine que j'avais accrochée. Voilà un des signes auxquels on reconnaît tout de suite les gens qui n'ont pas de chance ! La température d'Alger est généralement agréable d'octobre à mai, toujours insupportable de mai à fin septembre. En toute sai- son, deux ou trois fois par semaine, avec une intensité variable, souffle le vent du désert, le terrible siroco. Évidemment, il serait excessif de symboliser l'Algérie par le siroco, comme la Provence par le mistral, la Corse par le libeccho ; mais n'en pas tenir compte, faire sur ce pays des livres où il n'en est pas question, laisser