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146 LA R E V U E LYONNAISE tion, je me faisais introduire chez lui par son domestique qui nie connaissait bien. Assis à son bureau il écrivait avec précipitation, à portée de sa main une boîte de pistolets était ouverte. Il se leva en me voyant et vint à ma rencontre d'un air égaré. Je congédiai le serviteur d'un geste. — Monsieur Bidau, lui dis-je, vous allez vous tuer. — C'est vrai ! me répondit-il brusquement, mais que vous im- porte ? Vous ne perdrez rien, comme en témoigne ce papier que j'adresse à ma femme. Pour elle, pour mes enfants il vaut mieux que je meure. Ils vivront avec la dot de leur mère que je mange- rais comme le reste si je n'avais le courage d'en finir aujourd'hui. Ma fabrique est criblée d'hypothèques, ma passion pour le jeu m'a fait rouler dans l'abîme ; je n'ai pas, je ne saurais avoir la liberté d'esprit, le sang froid qu'il me faudrait pour lutter et rétablir mes affaires. Tout vendu, il restera a peine de quoi faire face à mes engagements et vous désintéresser, vous et ces messieurs. Si ma femme vous demande un délai, accordez-le-lui, c'est tout ce que j'attends de vous. Adieu. — Monsieur Bidau, lui dis-je, vous êtes un homme d'honneur et j'ai autre chose à vous proposer. Je paie les vingt mille francs que vous devez k quelques-uns de nos collègues, je vous offre pour me rembourser et vous acquitter de ce que je vous ai ga- gné cette nuit tout le temps que vous voudrez,à la condition que vous me donnerez ici, à l'instant, votre parole de ne plus remettre le pied dans un cercle, de ne plus jamais toucher une carte. — Je vous la donne, Monsieur, me dit-il, après un moment de réflexion. La leçon a été bonne, j'en profiterai. En quels termes vous exprimer ma reconnaissance? Aurais-je jamais le bonheur de pouvoir faire quelque chose pour vous ? > — Peut-être. — Parlez ! — Eh bien ! je prévois qu'avec le train que je mène mon pa- trimoine ne durera pas longtemps. Vous me direz que je pourrais enrayer, mais cela m'ennuie ; à quoi bon me gêner ? Je n'ai à me préoccuper du sort de personne et je puis jeter mon argent par les fenêtres. Seulement j'aimerais assez, quand mon dernier écu sera parti, trouver un emploi qui m'assurât le nécessaire! Voulez-vous