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                   LA NOBLESSE BOURGEOISE                           115
 bourgeoisie, dont les députés remplirent la Constituante, eut d'a-
 bord des ménagements singuliers pour les droits féodaux, c'est
 qu'une bonne partie de ses membres jouissait personnellement de
 droits, et qu'elle les partageait avec la noblesse ; elle était devenue
 une fraction inférieure, mais intégrante de celle-ci, et cela sans
 crise, sans révolte, sans jacquerie, par le libre jeu des institutions
 et le simple cours des temps, qui enrichit et élève les uns, tandis
 qu'il abaisse et appauvrit les autres ; devenue aisée, instruite,
 admise à la participation d'un grand nombre des droits dont l'aris-
 tocratie avait autrefois joui exclusivement, elle s'était peu à peu
 hissée presque à sa hauteur ; elle ne l'égalait pourtant pas tout à
 fait encore, et combla le médiocre fossé qui l'en séparait avec les
 derniers débris des vieilles forteresses du moyen âge. L'insurrec-
 tion des campagnes, en 1789, lui fut à cet égard d'un puissant
 secours : les furieux qui pillaient à Brignolles les caisses
 royales aux cris de Vive le Roi! les paysans qui brûlaient en
 Auvergne les châteaux tout en montrant beaucoup de répu-
 gnance à maltraiter « d'aussi bons seigneurs », mais en alléguant
 un « ordre impératif » et « avoir avis que Sa Majesté le voulait
 ainsi », firent les affaires de la bourgeoisie, disons plus exacte-
 ment, d'une certaine bourgeoisie, comme actuellement les moujiks
 de Russie qui incendient les palais ou saccagent les banques
 au cri de vice le Tzar ! font, sans le savoir, les affaires du
 nihilisme.
    Mais comment les classes moyennes étaient-elles arrivées, vers
 la fin du dix-huitième siècle, à égaler presque la noblesse, à p a r -
 ticiper à plusieurs de ses privilèges, à l'envahir en quelque sorte et
 à se confondre, sauf quelques traits encore distincts, avec elle ?
 Un livre récent, qui n'a pas été écrit dans un intérêt de parti et
 qui n'a aucune allure polémique, nous l'apprend d'une manière
 indirecte, mais certaine, pour une province voisine du Lyonnais
 et qui avait avec lui de fréquentes relations. Ce livre dans lequel
 le lecteur superficiel cherchera des généalogies ou des blasons,
 mais où l'historien rencontrera, entre les lignes, une victorieuse et
• péremptoire démonstration de cette lente et constante accession de
 la bourgeoisie aux privilèges et à l'état nobiliaires, c'est YArmo-
 morial de la Chambre des Comptes de Dijon, dû à la plume de