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52          '              LA R E V U E     LYONNAISE

   M. Zola étant positiviste, il est clair que nous ne pouvons lui
demander ni doctrine ni opinion avouée sur les grandes questions
philosophiques. Dieu, l'avenir et la destinée de l'homme sont des
choses qu'il ignore et qui ne méritent que son dédain. Et cepen-
dant M. Zola fait delà philosophie. Il est facile de discerner dans
l'ensemble de son œuvre une doctrine assez à la mode aujourd'hui
et qu'il n'a certes pas le mérite d'avoir inventée. C'est une sorte de
panthéisme naturaliste et mystique qui tend à animer toute chose
et à nous indentifier avec la nature.
   S'il ne s'agissait pas de M. Zola, on serait tenté de ne voir dans
tout cela que des développements poétiques, mais tout ce qui
vient d'un homme ayant la prétention de faire de la science, doit
être pris au sérieux, et tout ce qu'il raconte doit être tenu pour
observé.
   Eh bien, écoutez les imaginations de Silvère et de Miette, pen-
dant leurs entrevues nocturnes dans l'ancien cimetière, et voyez si
jamais idées plus mystiques germèrent dans de jeunes cerveaux1.
    « Vaguement avec leur imagination vive ils se disaient que leur
amour avait poussé, comme une belle plante robuste et grasse, dans
ce terreau, dans ce coin de terre fertilisé par la mort. Il y avait
grandi ainsi que les herbesfolles ; il y avait fleuri comme ces coque-
licots que la moindre brise faisait battre sur leurs tiges, pareils à
des cœurs ouverts et saignants. Et ils s'expliquaient les haleines
tièdes passant sur leur front, les chuchotements entendus dans
l'ombre, le long frisson qui secouait l'allée, c'étaient les morts
qui leur soufflaient leurs passions disparues au visage, les morts
qui leur contaient leur nuit de noces, les morts qui se retour-
naient dans la terre pris du furieux désir d'aimer, de recommencer
l'amour. Ces ossements, ils le sentaient bien, étaient pleins de ten-
dresse pour eux; les crânes brisés se réchauffaient aux flammes
de leur jeunesse, les moindres débris les entouraient d'un mur-
mure ravi, d'une sollicitude inquiète, d'une jalousie frémissante.

il est plus qu'étrange de leur donner des existences humaines à broyer. Si le docteur
Rougon fait une expérience, elle est cruelle ou maladroite, et il faut avouer que pour
une fois que nous voyons un homme essayer d'agir sur le déterminisme des phéno-
mènes, cet essai est absolument malheureux et que les événements marchent encore
mieux quand on les laisse aller tout seuls.
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     Voir la Fortune des Rougon.