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LE ROMAN N A T U R A L I S T E 53 Et quand ils s'éloignaient, l'ancien cimetière pleur ait. Ces herbes qui leur liaient les pieds par les nuits de feu et qui les faisaient vaciller, c'étaient des doigts minces, effilés par la tombe, sortis de terre pour les retenir, pour les jeter aux bras l'un de l'autre. Cette odeur acre et pénétrante qu'exhalaient les tiges brisées, c'étaient la senteur fécondante, le suc puissant de la vie qu'éla- borent lentement les cercueils et qui grisent de désirs les amants égarés dans la solitude des sentiers. » Voilà ce qui s'appelle enguirlander le désir, le désir brutal de bien des images, et pas ne serait besoin pour un simple matéria- liste de ressusciter ainsi tous les morts d'autrefois pour leur faire murmurer des paroles d'amour aux oreilles de deux enfants. Et pour les amours de Serge et d'Albine dans le Paradou c'est bien autre chose '. Ce ne sont plus les morts qui reviennent parler aux vivants,' c'est toute la nature qui s'anime. « Le soleil se vautre en nappe d'or dans les prés et boitaux sources d'une lèvre blonde qui trempe l'eau d'un frisson ». Au printemps, « les arbres sont puérils, les fleurs ont des chairs de bambin. » Mais il n'y a encore là que des comparaisons. Plus loin, les sons, les paroles humaines, la lumière, tout s'identifie. « Serge dit dans le soleil : « — Que la lumière est bonne. « Et l'on eût dit que cette parole était une vibration même du soleil. « Et tout se tait pour l'entendre parler encore. » Les fleurs se mettent à sentir et à parler. « Les rosiers ont des voix chuchotantes, » et les roses ! oh les roses, il y en a de toutes espèces. « Une floraison folle, amoureuse, pleine de rires rouges, de rires roses, de rires blancs, depuis les roses thé qui étalent des pudeurs cachées, en passant par toutes les teintes représentant : la neige d'un pied de vierge qui tâte l'eau d'une source, la blancheur chaude d'un genou entrevu, la lueur dont un jeune bras éclaire une large manche, le rose franc i Voir la Faute de l'abbé Mouret.