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284            LETTRES DU R. P. LACORDAIRE

 donne une promesse sûre de vie chrétienne. Les grandes
 modifications morales ne s'engendrent que plus tard; il
faut avoir vu, médité et souffert. Les passions, pas même
l'orgueil, ne furent cause de cette émancipation précoce. Sa
transformation commença dès l'École de droit, ainsi qu'il le
dit, tout simplement, dans une lettre où ne se décèle au-
cun signe d'orage. Ce jeune homme de vingt ans, « isolé à
Paris comme dans un désert », à mesure que son âme se
mûrissait et s'agrandissait, souffrait davantage du vide.
Dévoré par une soif « de vérité et de béatitude », il voulut
regarder dans son fond même cette religion qu'il n'avait
vue que par le dehors, à travers des dénigrements sans
 portée. L'idéal moral du christianisme le ravit. Il sentit un
soulèvement extraordinaire de son être vers celui qui a
enseigné aux hommes la justice et l'amour. Les raisons de
l'esprit ne tardèrent pas à s'accommoder aux raisons du
sentiment, et la vérité de l'Église lui parut essentiellement
liée à la vérité de Jésus-Christ. Il ne semble pas que,
depuis, l'ombre d'un doute ait jamais voilé « la clarté de
sa certitude invincible ».
   S'il fut subjugué à ce point, c'est que lui-même était une
conscience supérieure, conscience non seulement d'hon-
nête homme, ce qui est beaucoup, mais qui avait l'enthou-
siasme de la beauté morale. Ses lettres montrent suffisam-
ment que si déjà au collège, il buvait avec délices le souffle
moral des grands auteurs de l'antiquité, que s'il a aimait
le vieux monde avec ses côtés sublimes », le christianisme
seul pouvait répondre à ses aspirations; il lui est impossible
de penser et de sentir, sinon noblement. Le subterfuge,
même pour servir une cause sainte, lui est odieux. A travers
ce rejeton d'une bourgeoisie éclairée court la sève d'un
chevalier sans peur. On pressent que s'il fût resté dans le