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92                        SULLY-PRUDHOMME

auquel Voltaire appliquait si justement, par la bouche de
Spinosa, le ver ironique si connu :

           Je crois bien, entre nous, que vous n'existez pas.

   Il reste, en effet, trop peu de place pour les grands sen-
timents de l'âme humaine, pour l'amour, pour le dévoue-
ment, pour la science elle-même; car à quoi bon deviner
une énigme, dont le dernier mot est l'ignorance absolue à
moins que ce ne soit le pur néant. Le sentiment qui faisait
retrouver un Dieu à Kant, lorsque son impitoyable critique
avait fait litière de toutes les preuves de raisonnement,
affirme de nouveau à notre poète l'idéal que sa philosophie
anéantit. De là ce duel, fort curieux, qui remplit toutes ses
Å“uvres. La lutte dure encore; mais le lutteur aspire au
repos, à la certitude, à la paix. Il le dit éloquemment, à
propos d'un autre tourment :

           Puissé-je ainsi m'asseoir au faîte de mes jours
           Et contempler la vie, exempt enfin d'épreuves,
           Comme du haut des monts on voit les grands détours,
           Et les plis tourmentés des routes et des fleuves (9) !

   L'enthousiasme pour la science, pour la vérité, tel est le
grand sentiment qui réchauffe cette froide métaphysique.
Nous lui devons un véritable fragment d'épopée, c'est le
poème intitulé le Zénith. C'était le nom d'un ballon qui
emportait trois aéronautes, dont deux trouvèrent la mort
pour avoir atteint imprudemment, dans leur ascension, les
limites où la raréfaction de l'air ne permet plus la respira-
tion et la vie. La langue du poète, avec sa précision scien-



     (9) Les Solitudes, p. 188. La Vieillesse.