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248 LES PEINTURES DÉCORATIVES présenter au spectateur comme de toutes pièces et coulées d'un seul jet; on ne trouve les défauts que par réflexion. Qui songe tout d'abord à l'adorable gaucherie de la statuaire du Moyen-Age, ou que les personnages de l'Angelico, sont tout âme et sans corps ? ou bien que le grand Donatello est souvent d'une rudesse barbare ? Assurément, il y a des écarts dans le procédé de Puvis de Chavannes. Quand on étudie le bel adolescent qui cueille le laurier dans le Bois sacré, dont le torse est d'un modelé si souple et si serré, le dos superbe de la femme qui joue avec la chèvre dans la Vision antique et plusieurs parties de la figure de la Saône, on s'inquiète de ce que la même main ait pu avoir, dans les travaux énormes auxquels elle s'est livrée, certaines défaillances ou certains oublis. Oui, il y a de l'inachevé dans Puvis de Chavannes, sans cela il ne serait pas lyonnais. C'est peut-être d'une profonde philosophie que de ne point achever ce qui doit finir. Qu'en- tend-on au reste par achevé ? Ce que l'artiste a voulu vous dire, est-il dit ? Tout est là . Un artiste, a dit Diderot, est plus grand par ce qu'il laisse que par ce qu'il exprime. On comprendrait mieux ce que veut dire achevé en sculpture, car c'est l'art de la forme complète et réelle ; il n'y a point en elle de tricherie pour ainsi dire. La peinture est au contraire fictive ; fictive dans le trait qui cerne les contours, dans la couleur douteuse que nul œil ne voit de même, dans sa perspective de convention. Elle nous paraît ter- minée, lorsque le peintre nous paraît avoir été jusqu'au bout de sa fiction. Les amis de Puvis de Chavannes constatent au reste, sans aucun déplaisir, qu'on ne peut parler de lui sans colère ou sans amour. Ici on a déjà entendu quelques discours enflammés auprès de ses peintures; c'est dommage qu'on