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2l6 LETTRE D'UN LYONNAIS D'ALGERIE de cet accent sont bien empruntés un peu à gauche et un peu à droite. Il faut être le fils de son père, comme nous le remarquions tantôt; et je ne vous cèlerai point, si vous me poussez, que notre accent ne soit un peu composite comme notre cuisine. La cuisine et l'accent, du reste, cela va de pair : il y a des accents qui ont des goûts d'ail, d'autres des goûts de poisson, d'autres des parfums de miel. En essayant de débrouiller comme il faut, et en s'appli- quant, les filaments de cet embryon, on y trouverait même — il m'en coûte de l'écrire — on y trouverait du marseillais et du parisien. Hélas! il me faut être sincère. Ce Paris et ce Midi, voyez-vous, avec leur légèreté fleurie et sceptique, avec leur fougue vantarde et leur fatuité qui les fait adorer des gobe-belues et des femmes, c'est les deux tentations de l'esprit national. J'en retrouve partout et toujours le subtil relent Le relent d'une tentation, c'est peut être hasardé comme trope : tant pis, c'est écrit; je ne corrige jamais mes phrases, par économie de synonymes. Ce qui saillit, pour sûr, de cette phonologie, c'est une double tendance contraire et bien marquée. Comme nous sommes tous de deux pays à la fois, ainsi que je vous l'ai fait saisir, et que nous sommes sans relâche écartelés entre ces deux pays, il y a dans notre accent un mélange surpre- nant et risible de fanfaronnade et de candeur, de feinte brutalité et de sensiblerie, d'outrance à la Tartarin et de pratique à l'américaine, un air tout en même temps délibéré et timide. Vous avez bien vu un jeune garçon qui se veut donner des airs d'homme ? Pour nous, jeune pays, c'est tout à fait cela. Pas moins vrai que cet accent existe comme je le dis. Il se caractérise de jour en jour, fond de plus en plus ses origines, se différencie des autres, et aspire, lui aussi, à son indivi-