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214 LETTRÉ D'UN LYONNAIS D'ALGÉRIE je n'en parlerai point. Je noterai seulement, entre deux parenthèses, qu'elle obéit à la commune loi, et qu'elle s'avachit dans notre capitale comme le français dans Paris. Nulle part on ne parle un plus mauvais arabe, plus efféminé, plus entortillé, plus dérivé, plus quintessencié, plus affecté, plus impertinent, plus émasculé par une prononciation dédaigneuse et mignarde, qu'en Alger. Un mien ami, more indigène de la province de l'Est, un lettré, un savant dans sa partie, me contait qu'ayant mené sa femme voir des parentes qu'elle avait à la capitale, c'est à grand'peine si elle les pouvait suivre dans la conversation : — Elle n'était pas fichue de les comprendre, me disait mon ami, qui était aussi lettré en français qu'en arabe. Mais, pour en revenir à nos argots, ce ne sont après tout que des phénomènes externes à la vie de la race, et des phénomènes plus amusants que suggestifs. Il en est un autre, m'est avis, qui mérite plus d'attention : il se forme chez nous, dans le langage, un accent ! Son évolution commence seulement. Il en est h la période d'intégration : rien en lui n'est ordonné, fixé. A peine sen- sible chez les hommes de ma génération, il se révèle déjà chez les jeunes hommes, s'accuse chez les adolescents, saute aux yeux, — non, à l'oreille, — chez les petits gones. Voire, je prétends distinguer, moi qui vous parle, l'accent des gens de l'Ouest de celui de l'Est. Mais cela, c'est le fin du fin, qui n'est pas donné à tout le monde. En quoi consiste cet accent? Voilà , par exemple, qui est difficile à expliquer, surtout sur le papier. Comment vous le marquer ? Cela ne se note point par des signes ou des indices, par des sigles ou des tildes, par des points diacri- tiques, ni comme de la musique. Vous vous êtes plaint vous-même de l'insuffisance des moyens de transcription