page suivante »
A UN LYONNAIS DE LYON 209 l'exprimais ci-contre, souche nouvelle. C'est la destinée des familles que de se dédoubler ainsi, comme chez quelques colonies animales, par une sorte de scissiparité. Chaque fils forme un nouveau foyer, qui s'élève et s'appuie contre le foyer paternel. Nous, nous faisons en ce moment une nouvelle province à la France ; une province avec ses mœurs à elle, son langage particulier, ses origines spéciales, son tempérament propre : une race enfin. Bien sûr que je ne prends pas ce mot comme les anthropologistes, je ne parle ni d'espèces, ni de classement naturel, ou du moins je réserve ce point; mettons que je le prends en son sens litté- raire, comme Don Diègue quand il crie que le soufflet qu'il a reçu fait rougir le front de sa race, comme Labruyère ou Pascal quand ils raillent la race des faux dévots, ou, plus sérieusement, comme Hippocrate mentionnant le race de Scythes et celle des Éthiopiens. Or, n'est-ce point un spectacle précieux, je vous le demande, que d'assister à la naissance d'une race ? En nous voyant naître et nous développer, on peut se faire une idée de la formation des Empires disparus, aussi bien que des Etats modernes. C'est merveilleux. Telle Rome s'est fondée par le moyen de quelques poi- gnées de poussière apportée des quatre coins du monde sur le champ sacré, ainsi notre pays est un champ d'asile ou- vert à tous les hommes de bonne volonté, d'où qu'ils vien- nent, qui nous aident à y bâtir nos villes. D'aucuns même craignent que ces pérégrins, trop nombreux, finissent par nous mettre hors de chez nous, et que notre bâtisse tourne en une tour de Babel : et ce n'est point là l'un des objets les plus indifférents de ces spéculations. Et s'il est vrai que l'Idée de Patrie, selon la fameuse et belle conférence de M. Renan, dont je suis loin, au reste, N° 3. — Septembre 1886. \A