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1^6              LA MARCHANDE DERANGES

allaient et venaient, lentement, se parlant bas, tandis que
les lumières des quais comme desfleursd'argent plongeaient
frémissantes dans l'eau calme, leurs longues racines grêles ?
Qui sait?
   A pas lents, affaissés à demi sous le poids, quatre hommes
passent, remontant la rue de la Charité, une civière sur les
épaules. Ils vont lentement, évitant les secousses. La civière
est couverte; des enfants la suivent sans pousser les cris
habituels à leurs jeux, et les passants se retournent.
   Pour souffler un peu, les hommes s'arrêtent un court
instant; on les entoure, et dans le groupe qui se forme
autour d'eux, on entend des exclamations, des phrases de
pitié murmurées à mi-voix : « Oh! quel malheur!             Un
couvreur qui est tombé, madame!             Il n'arrivera peut-
être pas à l'hôpital        tous les membres brisés        Une
veuve, trois enfants          Tout jeune encore, trente-deux
ans      Oh! c'est affreux! »
   Les porteurs ont repris leur route, et tandis qu'ils passent
devant la vieille toujours immobile, un soupir douloureux
et faible s'échappe de la civière.
   L'a-t-elle entendu ce faible soupir, la vieille marchande ?
Qui pourrait le croire? Et cependant si son regard atone
plongeait dans le passé, ne pourrait-elle pas voir aussi une
civière pareille arrêtée à sa porte ? Des hommes, de durs
ouvriers aux manches retroussées, se faisant tendres pour
monter jusque chez elle, sur leur bras robustes, avec mille
précautions, un pauvre corps moulu, quelque chose d'in-
forme d'où sortent des gémissements
   Que de telles images sont loin! Que de jours, de
semaines, de mois, d'ans, ont passé depuis! Non, pas
même la veuve en deuil, les yeux rougis de larmes, chassée
par le propriétaire si classiquement impitoyable qu'on doute