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D'UN VIEUX GROGNARD 51 se termine là ! Est-ce que vous n'avez plus revu Jeanne depuis lors ? — Je n'ai plus revu, me répondit-il, Jeanne en chair et en os, mais notre roman — s'il faut appeler ainsi ce drame intérieur, tout de sentiment— n'est pas fini. De retour chez mon père, je lui fis part des incidents de mon séjour à Vais. Je lui dépeignis Jeanne Durand sous les plus séduisantes couleurs, en déclarant qu'elle était l'élue de mon cœur et, bien qu'il n'y eût entre nous que le plus tacite des contrats, que je considérais mon sort comme indissolublement lié au sien. Mon père m'écouta fort attentivement sans aucune marque de satisfaction ni de mécontentement. Il répondit que le temps seul pouvait lui montrer et me montrer à moi- même la véritable portée de cette romanesque rencontre. Il s'abstint de toute parole de nature à m'encourager. Il se contenta de me mettre en garde contre les illusions aux- quelles la jeunesse est trop exposée, en me faisant observer, du reste, que si cette affection devait aboutir à un résultat sérieux, j'avais tout le temps d'y songer. Peu après, l'armée prussienne menaçant nos frontières, j'obtins de mon père la permission de m'engager, et c'est le cœur plein de l'image de Jeanne que je commençai ma carrière militaire. J'emportai précieusement la branche de myosotis qu'elle m'avait donnée et je l'ai gardée pendant de longues années sur mon cœur comme un talisman et comme le seul gage d'un attachement dont j'avais senti dès le début toute la profondeur. Ce n'était pas la mode alors de s'écrire aussi souvent qu'aujourd'hui et, d'ailleurs, la poste était fort mal orga- nisée. J'écrivis, cependant, une fois à Mme Durand à son