page suivante »
52 LE PREMIER AMOUR domicile habituel dans un village des environs de Joyeuse : c'était au lendemain de ma première bataille où j'avais eu l'occasion de me distinguer, et j'étais heureux de penser que Jeanne en éprouverait quelque fierté. Ne recevant pas de réponse, je demandai des nouvelles à l'abbé Velay et à mon père; mais le premier resta muet, ce qui ne pouvait beau- coup me surprendre en ce temps de persécutions contre le clergé, et, quant au second, il évita toujours d'aborder ce sujet. Je dois avouer que cette absence d'informations, jointe aux agitations politiques et aux aventures militaires, amortit un peu la vivacité de mes premiers sentiments. Le souvenir de la maisonnette des bords de la Volane éveillait toujours en moi de douces émotions, mais le temps et l'éloignement tempéraient graduellement le feu des yeux de Jeanne que mon imagination voyait au loin briller comme des étoiles. Tout désir s'en allait avec l'espérance, et ma tendresse se transfornait en une sorte de culte platonique. Je me disais parfois que je m'étais peut-être fait illusion, que j'avais pris pour une affection réciproque un caprice passager, une fantaisie de jeune cœur, et que Jeanne pen- sait beaucoup moins à moi que je ne pensais à elle. D'au- tres fois, je me la figurais écoutant les propos d'un rival, et la jalousie ravivait alors mon amour faiblissant. Mais toutes les raisons s'usent, et à force d'avoir ressassé dans mon esprit les diverses hypothèses auxquelles prêtait la situa- tion, j'avais fini par tomber dans une sorte de résignation douloureuse, redoutant même un éclaircissement, dans la crainte qu'il ne fût contraire à mes vœux. J'obtins un congé après avoir conquis le grade de lieute- nant. Il me tardait de montrer mes épaulettes à ma famille et à mes amis. Je pensais aussi à Jeanne, mais ne se moque- rait-elle pas en se rappelant que j'avais promis de revenir