page suivante »
261 silence du frère convert et ma curiosité, s'enhardissant de nouveau, devenait intarissable. Pour le moment citait bien le voyageur et non le pèlerin qui parlait. Cependant je commençais à trouver que mon interlocuteur se tenait dans une telle observance des règles du silence quelle eut été digne d'un général de l'ordre et je me retournais, peut- être pour le dire au bon frère Jean-Marie, lorsque je le vis entrer avec mon dîner. Je compris alors qu'il m'avait quitté et que tout en me chauffant j'avais parlé tout seul. Mon dîner se composait de pommes de terre bouillies, de beurre, de pommes de terre sautées et d'œufs. Les offices de nuit de la Grande Chartreuse sont remplis de grandeur et de majesté, non plus comme dans nos métropoles par la pompe et la munificence, mais par la gravité solennelle dont ils sont empreints. Rien ne saurait rendre l'effet produit par ces chants nocturnes. Quelle diffé- rence entre ces psaumes sublimes vibrant dans la voix pleine de conviction de ces saints religieux et ces prières, pourtant si touchantes et si belles, entonnées par les gagistes de nos lutrins! C'est toute une autre religion. Les Chartreux demeurent inclinés, sont agenouillés, relèvent leurs ca- puchons, s'en couvrent entièrement la tête, ou se jet- tent la face contre terre, selon les offices, mais chacun de ces mouvements est suivi d'une immobilité qui est tou- jours complète. Le haut des stalles est occupé par les novices dans leurs costumes noirs, puis viennent les pères dans leurs costumes blancs : ils semblent tenir ainsi ces jeunes néophytes entre eux et l'autel pour qu'ils ne faiblissent pas, comme on mettrait de jeunes troupes entre la bannière et des soldats aguerris. Ceux qui officient se revêtent d'une aube fine de forme tout-à -fait pareille à leur vêtement de lainCj les capuchons s'adaptent l'un