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  Nous empruntons au journal la Presse la lettre suivante
écrite à Alphonse Rarr par Méry. Elle se rattache en partie
à notre localité, et nous lui devons une place dans notre
Revue. Le douloureux événement qu'on va lire fait naître de
tristes réflexions. La vie d'un homme, aux yeux d'une admi-
nistration, est donc comptée pour bien peu, puisqu'elle ne
peut arrêter plus de quelques minutes la marche d'un paque-
bot, et qu'on ne prend pas la peine de la disputer aux flots.


   Nous sommes partis le vingt juillet, à quatre heures du ma-
tin, de Lyon pour Marseille, par le Rhône, ce grand chemin
volant qui défie à la course tous les chemins de fer. Notre pa-
quebot était inlitulé l'Eclair, et méritait son nom. Cependant
l'administration fluviale avait fait tous ses efforts pour com-
promettre la réputation des Eclairs. Une montagne de ballots
de marchandises, destinés à la foire de Beaucaire, couvrait
le pont du paquebot ; on avait seulement ménagé deux vallons
fort étroits pour la promenade des voyageurs. Il y avait tant
de voyageurs, que le plus grand nombre s'est décidé à se
faire ballot, et à s'immobiliser comme marchandise vivante
sur la crête et sur les flancs de la montagne. De la rive il était
fort difficile de distinguer les ballots vivants des ballots
morts. Un temps superbe nous arrivait avec le soleil. Le
Rhône agile, sans se plaindre d'un fardeau inaccoutumé,
emportait le paquebot comme l'épi de l'aire. Les ballots
vivants disaient aux morts, nous arriverons à Beaucaire à
quatre heures du soir. Le capitaine jetait un regard de satis-
faction sur l'abondance de ses colis ; on évaluait la recette
à dix mille francs.
   « Nous avons laissé derrière nous Vienne où mourut Pilate,
et Valence où fut guéri Jean-Jacques Rousseau. Croyez que
ce n'est point une erreur d'imagination ; la gaîté des voyageurs
s'est éteinte; les visages deviennent inquiets; les chants