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LA CHASSE A L ' A B O N N E IO9 Au début, quelques imprésarios de lettres pensèrent qu'en offrant, — de loin en loin, — aux lecteurs, des sacs de pralines et de chocolats à la crème, des caisses de manda- rines, ils les rendraient plus assidus. Le règne des douceurs fut, — hélas ! — de courte durée. Il fallut bientôt en venir aux paniers de vins fins dont chaque bouteille portait l'étiquette, — oh, combien falla- cieuse ! — d'un clos réputé fameux. Le lecteur devenant de plus en plus exigeant et de moins en moins assidu, on lui offrit des gravures... après la lettre ; on le combla de trésors littéraires à o fr. 25 le volume; on le bourrade chronomètres à 3 fr. 50; on le satura enfin de « de récréations » en faisant passer, — chaque matin, — sous ses yeux, des rébus, de charades, des énigmes, des mots carrés et des devinettes tellement abracadabrantes que le sphinx, lui-même, aurait rougi de les proposer aux passants. Des milliers de Français occupèrent leurs loisirs à se creuser la cervelle pour trouver la solution de ces intéres- sants problèmes. De toutes parts les œdipes surgirent, les argus pullulèrent : nous ne fûmes plus seulement le peuple le plus spirituel de la terre, nous en fûmes aussi le plus sagace. Cette sagacité qu'on put croire inopinément élevée à la hauteur d'une institution nationale, a eu le sort de beau- coup d'autres choses ; elle s'est usée et si l'on tenait à en retrouver maintenant quelques vestiges il faudrait aller les chercher dans des cantons éloignés, parmi les habitués de l'auberge du Cheval Blanc ou du café du Lion-d'Or. Il n'est pas jusqu'à la politique dont les finesses, — pourtant cousues de fil blanc, — ne soient maintenant devenues impénétrables à la plupart d'entre nous.