page suivante »
314 «ENÉ DE LUCINGE plus cher de vos neveux , digne de la reconnaissance et de l'estime de son souverain. — Je ne rappelle point à votre seigneurie, reprit René, les jours de triomphe et de gloire, si près de nous encore, et dont le souvenir nous est si cher, où le héros qui nous donne des lois fit rentrer sous son obéissance la Savoie, la Bresse et le Bugey. Vous savez si les noms de Putiver, de Mayence et de Lucinge furent bénis du peuple, qui retrouvait son maître légitime. Vous avez vu, Messire, nos transports et nos joies en volant à la rencontre du duc Philibert-Emmanuel, et en étant désigné avec mon frère aîné pour assister à son mariage. Je partis. Hélas ! un singulier mélange de douceur et d"amertume m'atten- dait au milieu de cette cour brillante de France où j'ap- portais tant de jeunesse, de franchise et d'enthousiasme. Partout se trouvait l'éloge de Marguerite de France, sa beauté ravissante était le moindre de ses avantages ; les poètes l'appelaient la dixième muse, la plus jolie des Grâces, la Marguerite du Parnasse. Le peuple la publiait la meilleure princesse qu'on eût vue ; tous les gentilshom- mes, les délices de la France. Je ne puis exprimer mon émotion à sa vue. C'était le soir, dans la vaste salle du Louvre. Je vis d'abord l'orgueilleuse Catherine de Médi- cis. La dissimulation et la perfidie se lisaient dans ses yeux. Je vis ses deux filles : Elisabeth, beauté touchante sacrifiée à la politique , et qui allait, à dix-sept ans, devenir épouse d'un vieillard ; Marguerite, sa sœur, vive, spirituelle et plus jolie encore. Enfin rentra Marguerite, les délices du beau pays de France ; à peine eus-je jeté mes regards sur cet ensemble de grâces , de beauté, de grandeur, que mes genoux tremblèrent ; un feu s'alluma dans mon cœur, et je compris que j'aimais, pour mon malheur, une femme qui ne pouvait être à moi.