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MON AMI GABRIEL S9 grands sapins. Les sourdes rumeurs de la petite ville parvenaient à peine jusqu'à cette charmante retraite, tandis que le soleil l'inondait encore de ses derniers rayons. Les rares promeneurs qui passaient par là s'ar- rêtaient un instant pour admirer cette fraîcheur et ce silence; ils devinaient derrière les épais rideaux des fenêtres ouvertes une atmosphère tiède et embaumée, puis ils se retournaient" en s'éloignant pour chercher encore à voir un sourire sur la face de cette heureuse demeure. Mais, au-dedans, cette heureuse demeure avait un bien autre aspect. Dans l'angle le plus obscur de son appartement, Nelly était assise auprès d'un feu qui suf- fisait à peine à la réchauffer. Son visage paraissait livide à la clarté bleuâtre de la flamme ; ses yeux étaient à demi fermés et sa tête se renversait sur le fauteuil, pendant que ses doigts froissaient machinalement les franges du coussin. Rien n'annonçait la vie dans toute l'habitation ; de temps en temps, la femme de chambre passait dans le vestibule en étouffant ses pas, et l'on n'entendait plus que le crépitement des tisons, et le tic-tac de la pendule, comme dans la maison d'un mort. Aussi la visite de Gabriel était [un bienfait pour Nelly. Mon ami lui racontait les nouvelles de la ville et du dehors, ou bien il lui lisait quelques pages d'un livre nouveau, de sa voix sympathique et bien timbrée, en ajoutant un commentaire plein de bon sens et d'esprit. Car, à cette époque, mon ami Reynaud était aussi agréable dans l'intimité que glacial dans le monde. Quel- quefois, la jeune femme se trouvait en tête-à -tète avec Mme Delprat : mais c'était une personne d'un esprit étroit, qui distribuait plus de.conseils que d'encouragements; elle ne pouvait être une amie pour Mme de Sérona, qui