page suivante »
262 LES DROITS DU FUMEUR. meurs, c'est-à -dire à des sourds, et je suis sûr qu'intérieure- ment ils pensaient qu'il n'y avait que des fumeurs qui eussent droit à la croix d'honneur. A quoi un littérateur est-il bon en effet? Je vous laisse à penser comment je fus traité pen- dant le reste du voyage. Si je voulais descendre, il y avait toujours quelque jambe en travers de mon chemin , et quand je voulais rentrer, la portière m'était toujours fermée. Je riais de ces niaiseries; mais je ne pouvais m'empêcher de penser à la position d'une pauvre femme au milieu de pareils rustres. Il m'arriva peu de temps après quelque chose de mieux. J'étais monté en wagon à une petite station. A l'autre bout du compartiment se trouvait un monsieur qui fumait. Il y avait en face de lui une dame avec laquelle il faisait bon mé- nage, parce qu'il lui payait des gâteaux à chaque station. Au bout de peu de temps, je m'aperçus que mes yoisins étaient gênés par la fumée. Je priai ce monsieur de mettre son ci- gare de côté. Il me répondit, d'un ton goguenard, et en con- tinuant de fumer: « Tous dites donc que....? » Voyant à qui j'avais a faire, je répondis: « Je vous ai prié, monsieur, de ne pas fumer; vous ne tenez pas compte de mon observa- tioîs; je ne vous dis plus rien. » Arrivé à une prochaine sta- tion, je demandai s'il y avait là un commissaire de police; on me répondît que oui, et je descendis pour lui faire ma plainte. Quand mon homme vit que c'était sérieux, il s'es- quiva du wagon, il allait probablement entrer dans un autre, lorsque le commissaire l'appela. Pendant qu'il se rendait aux ordres de l'agent de l'autorité, la mangeuse de gâteaux s'avan- ça pour prendre sa défense, en disant que j'étais un méchant homme, que son monsieur avait à peine fumé, et le commis- saire se retournant de son côté, lui demanda sèchement de quoi elle se mêlait, qu'elle eût à s'occuper de ses affaires, etc. Alors le délinquant étant arrivé, le commissaire lui deman- da qui il était. « Je suis dit-il, commis voyageur de la mai- son X de Paris. » — « Très bien ; mais vous avez des papiers, un passeport. » Mon homme fut obligé d'exhiber tout cela. Le commissaire y prit l'adresse du patron, et renvoya le com- mis-voyageur en lui disant: « Vous pouvez aller, maintenant; vous recevrez bientôt de mes nouvelles. » Ces nouvelles c'é- tait un bon petit procès-verbal , dont le coût équivaut à vingt-cinq francs ! Mon homme revint tout penaud dans la voiture, et je vous prie de croire qu'il ne recommença pas. J'engage tous ceux qui ont à se plaindre d'un fumeur de che- min de fer à faire comme moi, ces messieurs seront bientôt plus raisonnables. Auguste BERNARD.