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446 LE CHATEAU DE CAR1LLAN. tristes rêveries, répartit M. Gérard, c'était un bon service à te rendre. La seule ressource, avec les principes que tu as et que j'approuve d'ailleurs, c'est l'oubli. Gomment peux-tu y arriver en agissant si follement? Tu viens a Garillan toutes les semaines... pourquoi faire?... Si l'un de nous ne prenait soin de l'accompagner dans ces malencontreux voya- ges, tu resterais sans doute un jour sans revenir !... Voyons, Julien, sois raisonnable ! Où peux-tu, où veux-tu aboutir en le conduisant ainsi?... — Tu as raison, « dit Julien, après un moment de si- lence el avec une voix émue : » « Je suis un fou ! Mais qui aura le courage de m'arracher ma dernière consolation? La vue de Garillan n'esl-elle pas le seul attrait de ma vie? Ah! tenez, je suis bien injuste, je vous oubliais! » Des larmes se firent dans les yeux de notre ami, qui me pressa la main avec force , comme pour me faire compren- dre le douloureux roman dont nos compagnons venaient de révéler l'existence. M. Léon Gérard le chassa doucement de sa place, comme pour le laisser libre d'écouter ses chagrins e! tandis qu'il s'emparait du gouvernail, M. Pivalle, celui que Julien avait appelé le docteur, dit du ton bref, mais plein de cœur, qui lui èlait particulier : — Le château de Garillan est en vente ! — En es-tu sûr? « fit Julien d'une voix étouffée. » — Enfin !... s'écrie M. Léon Gérard. Sous sa main la barque avait brusquement changé de direc- tion, et, abandonnant le château, repris sa vive allure contre le courant de la rivière. Julien s'était assis de manière à voir Carillan le plus longtemps possible. Il tenait les yeux fixés sur les lumières fuyant dans la nuit ; il semblait écou- ler el recueillir avidemment les notes qui volaient jusqu'à nous el nous arrivaient expirantes. Le silence le plus profond s'était rétabli dans notre société. Chacun se laisail, soil par