page suivante »
DEUX POÈTES PROVENÇAUX. 463
roche vive, ne pourrait s'éprendre d'un livre jeté dans le
moule ordinaire des écrivains qui pâturent sur le fonds
communal de la poésie.
Assurément notre attente n'a pas été trompée , et si
jamais poète possédât cette inspiration primesautière, que
les Anglais qualifient si bien du nom de genuine, c'est Ã
coup sûr M. Mathieu ; c'est à coup sûr aussi M. Aubanel.
C'est à dessein que nous réunissons ces deux noms, car
ceux qui les portent ont plus d'un trait commun, tout en
conservant des physionomies biens distinctes; l'un pétri
d'une sève plus rustique et plus empreint de bonhomie ;
l'autre de race plus fière et d'aspirations plus vastes.
On connaît très-peu en dehors de la Provence et de
l'ancien Comtat les poètes provençaux modernes. M. Mistral
est le seul dont un grand succès ait répandu le nom dans
toute la France. C'est aussi incontestablement parmi eux
la personnalité la plus forte, et de beaucoup le talent le
plus complet. Aussi sont ils orgueilleux de ses triomphes
comme d'une gloire personnelle à chacun, car rien n'est
plus touchant et plus sympathique que cette solide et
tendre amitié qui unit entre eux tous les felibre, comme ils
s'appellent.
Nous comprenons d'ailleurs très-bien qu'on hésite avant
de lire des ouvrages écrits dans un dialecte particulier, que
nous autres gens du Nord, sommes toujours tentés de re-
garder comme un patois. On s'accommode difficilement
de poètes qu'on ne peut connaître que par traductions, et
nous avouerons franchement, pour notre compte, avoir cru
longtemps que les poésies provençales ne comprenaient
que des pièces populaires, d'un ordre restreint et secon-
daire, dont les ouvrages de M. Jasmin peuvent donner
une idée. Nous n'étions pas bien sûr que la Garonne
n'étendît pas son cours jusqu'en Provence, et les farces
grossières qui composent la littérature aborigène de
Marseille n'étaient pas propres à nous détourner de cette
pensée, pas plus que les élégies de M. Reboul à nous