page suivante »
366 NICOLAS BERGASSE. attenances vint bientôt s'en joindre un autre qui les dépassait tous en importance : c'était celui du prince de Nassau-Siegen. A lui seul ce nouvel antagoniste de Bergasse, qui avait rap- porté de ses campagnes d'Afrique contre les bêtes féroces le surnom de Dompteur de monstres, valait toute une armée. Brave jusqu'à l'extravagance, sans Etats, mais non pas sans dettes ; ayant failli enlever Gibraltar aux Anglais par un coup demain d'une audace sans pareille, mais n'ayant jamais su s'affranchir des recors qui se multipliaient sous ses pas comme par miracle; fuyant ses créanciers jusqu'au fond de la Pologne, où il faisait jouer entre deux batailles le Ma- riage de Figaro par la haute aristocratie de Varsovie ; pas- sant du service de Stanislas-Auguste au service de Catherine ; allant guerroyer à outrance contre les Turcs et les Suédois ; écrivant un soir de victoire à son ami Beaumarchais de lui envoyer ses armes de luxe engagées avant son départ au mont-de-piété, et recevant pour toute réponse l'outrageante nouvelle que l'armurier, qu'on avait oublié de payer, s'oppo- sait à les laisser partir ; paladin doublé de Figaro, héros mêlé de bohémien, don Quichotte qui avait lu Gil Blas; remplissant de son nom les gazettes étrangères et les gri- moires des procureurs au Châtelet; traînant sa gloire dans les ruelles et son nom dans les plus misérables intrigues, la vie du prince de Nassau suffirait à défrayer un roman héroï- que, comme on disait autrefois, ou réaliste, comme on dirait aujourd'hui (1). Beaumarchais s'était fait le ministre des fi- nances de ce prince sans sujets qui avait des fantaisies d'em- pereur asiatique. On devine que s'il lui rendait des services de plus d'un genre, Figaro, devenu grand commerçant mari- lime, savait profiter pour son propre crédit de cette éclatante renommée. (1) Voir pour ces détails la curieuse étude de M. de Loménie intitulée : Beaumarchais, sa vie, ses écrits et son temps.