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                     UNE CURE HÉROÃQUE.                     3H

 gourmandise, leur débitant ces propos galants que l'imagi-
 nation d'un festin rend plus flatteurs, parce qu'ils y semblent
 plus sincères ; en un mot, M. de Gorifa, convive accompli,
 bel homme, n'était jamais mieux qu'attablé pour valoir tout
 son prix, et traversait gaiement la vie entre le banquet de la
 veille et celui du lendemain.
    M. de Gorifa avait inoculé sa gourmandise à tous les
membres de sa famille. Les repas étaient, dans son château,
 les événements les plus saillants delà journée; tout y était
lentement dégusté ; chaque plat était grabele ; la nourriture
y était variée, la recette nouvelle d'une sauce ou d'un accom-
modage faisait époque.
    La maturité des melons, le passage des bécasses, la re-
monte des truites, l'arrivée des grives, la saison des truffes,
les primeurs de toute sorte, telles étaient les préoccupations
du marquis , et ces éphémérides de la nature l'occupaient
beaucoup plus que les événements contemporains et les
oscillations de la politique.
   Mais le marquis, grâce a sa succulente alimentation, pre-
nait un embonpoint menaçant; et la goutte, après avoir,
comme l'épée de Damoclès, plané longtemps sur sa tête,
s'abattit tout a coup a ses pieds et débuta par un accès vio-
lent. Le médecin, mandé de suite, prescrivit un régime
sévère qui parut au malade mille ibis pire que le mal. Il se
mit en pleine révolte contre la Faculté, prétendit que la
goutte était chez lui, non pas le fruit de son péché mignon,
mais un héritage de son aïeul ; que la privation de biens réels
pour arriver a un mieux incertain serait une folie, et conti-
nua, dans la saison où on était alors, a se nourrir exclusi-
vement du gibier arrosé des meilleurs vins de sa cave.
   Les ordonnances fameuses de Charles X ne trouvèrent
pas en France une opposition plus accentuée que celle du
docteur chez le marquis ; il crut même piquant d'inviter