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LETTRES SUR LA SARDAIGNE. 225 sommeil plein d'innocence, à cette mine vermeille, un homme de Dieu, elles se retirèrent en faisant le signe de la croix ; alors elles vinrent de mon côté, poussèrent en me voyant un joyeux éclat de rire, et me jetèrent un bonas tardas de l'air le plus gracieux du monde ; puis, fermant mes rideaux, elles allèrent au troisième lit. Au bout d'un mo- ment, cédant à un mouvement de curiosité bien naturel, j'entr'ouvrais doucement mon rideau, mais soudain la lampe s'éteignit et la chambre rentra dans l'obscurité. Fran- chement la nuit fut orageuse : je ne pus fermer les yeux; il était venu me trouver dans mon lit une ou plusieurs de ces horribles bêtes anlropophages, qui dévorent les voyageurs, et qu'Henri Heine a anathèmatisé avec une verve pleine de bon goût dans son poème û'Ala-lrol. 0 mon cher philoso- phe, si jamais vous voyagez en Sardaigne, ne couchez pas dans la locanda de Paoli-Latino, à moins que l'espérance d'une aventure nocturne ne vous fasse affronter les horreurs d'une couche livrée aux bêtes. Le lendemain, sur la recommandation de mon hôte, je fis une course à la Tança Regia. Comme le nom vous l'indi- que, c'est un établissement royal, destiné spécialement aux soins de la race chevaline. Mais il est aujourd'hui complè- tement ruiné et ne présente plus d'autre intérêt que celui d'une admirable position. Quelques cabanes de verdure et de gazon, s'élèvent au milien d'une clairière : vaste rotonde, qu'enferment, semblables à des portiques gigantesques, les troncs entrelacés des chênes verts et des lièges : à leurs pieds, des sources cachées font jaillir des touffes de roseaux, de myrthes et d'herbes grimpantes. Mais les cavales hennissantes sont dispersées et courent en liberté à travers les sentiers in- connus de ces forêts vierges encore. En rentrant au village, le premier être humain qui frappa mes regards, fut un malheureux qui se traînait sur les mains