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226 LETTRES SUR LA SARDAIGNE. et les genoux, et criait d'une voix suppliante : la carita, la carita. — Qu'est-ce donc que cet infortuné, demandai-je à mon guide ? qui a pu le mettre dans un état si piteux ? — Ah ! Monsieur, me répondit-il, c'est un homme qui a subi, il y a vingt ans de cela , le supplice de la roue. — Comment, m'écriais-je, il a été roué! — Ah! Monsieur, c'est une terrible histoire! Il y avait un moine amoureux... et un bandit, qui était amoureux aussi..., et une femme qui en aimait un autre..., mais je ne saurais pas vous raconter tout cela -, vous ne me comprendriez pas, il faut le demander à votre hôtelier, lui qui parle si bien français. Le soir donc, après avoir soupe d'un rôti d'agneau et bu de l'excellente muscalel, en compagnie de deux marchands de bestiaux et d'un chevau-léger, j'interpellai mon hôte et lui demandai l'histoire du roué. L'hôte se leva, vida son verre et toussa. Tout le monde resta attentif, tandis que sa femme vint sournoisement s'asseoir dans un angle obscur de la chambre. Ce début était beau comme le commencement du second livre de l'Enéide. Mais, en vérité, que vais-je faire? vous conter une his- toire de brigand, d'amoureux et de supplicié, à vous l'homme grave, qui méprisez les romanciers, leurs pompes et leurs œuvres ! non décidément, je la réserve pour une dame, qui a le bon goût de les aimer et la politesse de me le dire, je n'ai déjà que trop abusé de ces instants précieux que vous consacrez aux études sérieuses, aux profondes théories. Je remonte dans la grande chambre. Qui sait? peut être cette nuit aurais~je une seconde aventure! M. H. M.