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224 LETTRES SUR LA SARDAIGNE. perdue : il avait eu l'honneur de servir Charles-Félix dans les cuisines du palais de Caglian. Il y avait appris quelques mots du vocabulaire savoyard ; ces mots mélangés avec l'I- talien et le Sarde, lui formaient un idiome inintelligible , qu'il débitait avec aplomb, persuadé qu'il parlait français comme le premier venu. Retiré à Paoli-latino, il avait voulu faire le bonheur d'une femme, en la prenant pour épouse, et la chargeant de toute la besogne de la maison. C'était une frêle créature, qui vous r e - gardait avec de grands yeux doux et tristes comme ceux des gazelles, et ne parlait que par monosyllabes ; quant a lui, par respect pour son ancienne dignité, il se contentait de causer avec les voyageurs et de leur présenter leur compte. Le soir, commej'étaisharrasséde fatigue, je me privai du charme de sa conversation et je montai me coucher dans la grande chambre sans vitres. Trois lits, cachés sous d'épais rideaux, occupaient les angles de la chambre. Je m'assieds au pied de l'un, et me déshabille à la hâte, sans m'inquièler d'un ronflement sonore qui remplissait la chambre : sans doute c'était le vent qui mugissait en passant par la fenêtre ! Mais au moment, où, écartant les rideaux, je me disposais à reconnaître la virgi- nité de mes draps, je reculai épouvanté, les couvertures sou- levées comme une montagne, recouvraient l'abdomen énor- me d'un moine mendiant ; sa tête était rouge et pelée, et sa bouche entr'ouverte chassait une respiration bruyante. Évidemment c'était un ténor léger qui venait demander une place de chantre au lutrin de la paroisse. Je pris mes habits sous mon bras et me sauvai dans l'autre lit. 11 était libre. A peine avais-je soufflé ma lampe, que j'entendis la porte s'ouvrir, et je vis entrer deux femmes, mais deux femmes... vraiment j'aime mieux ne pas vous en faire la description ; je laisse ce travail à votre imagination. D'abord elles s'approchèrent du lit, où ronflait le religieux, et reconnaissant sans doute à ce