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LETTRES SDR LA SARDAIGNE. 221 viclion profonde me paraît respectable , et parce qu'un homme ne pense pas comme moi, ce n'est pas une raison pour qu'il ait tort. La caverne, dont lesfiguierset les broussailles enva- hissent Tenlrée, est creusée aux flancs de la montagne; et s'ouvre sur cette vallée enchantée, où s'étendent les om- brages enivrants de Millis. La place pour rêver était on ne peut mieux choisie. Cachée dans cette grotte solitaire, la belle Eléonore venait Iremper son âme dans ces sagesses an- tiques , qui s'exhalent des bois, des monts et des plaines, de la nature enfin, celle savante Egérie qui dictait jadis au vieux Numa ces lois immortelles , mortes, hélas ! tout comme lui. Mon explication aura, je l'espère, le mérite de vous plaire; pour moi, je la trouve prétentieuse et improbable. Eléonore, comme son prédécesseur Numa, ne pouvait-elle pas avoir des accointances secrètes avec le monde invisible , avec quel- que diable, par exemple; mais un bon diable, qui, grâce à quelque pacte mystérieux , mettait à sa disposition son ex- périence et ses lumières. La croyance au démon el à sa puis- sance me semble toute naturelle. Qui croit à Dieu doit croire à Satan. La conséquence est nécessaire ; l'idée du bien im- plique celle du mal. Pourtant mon guide s'inquiétait mé- diocrement de l'existence du Père Éternel; mais, en revanche, il avait un profond respect pour le Diable. Ne vaut-il pas mieux croire au Diable que de ne croire à rien ? Les Nuragues sont des monuments bizarres, dont l'exis- tence remonte à l'antiquité la plus reculée: absolument comme disent les historiens à propos de l'origine des peuples de l'Asie-Mineure qui leur est inconnue. Ce sont des ruines pé- lasgiques, semblables à d'immenses pains de sucre, placés sur les sommets âpres et nus des collines. Leur construction est cyclopéenne, c'est-à -dire qu'elle est formée de globes im- menses el irréguliers, entassés, sans ciment qui les lie, par une race de Titans inconnus. Ces monuments, que l'on retrouve