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154               LETTRES SDR LA SARDAIGNE.

    Pour moi ébloui et fasciné par tant de séductions, je
m'engageai hardiment au milieu de cette population four-
millante et joyeuse, rivière vivante qui roulait ses flots
tumultueux entre les murailles blanches des maisons pavoisées.
Les bonas dies, les quolibets se croisaient jetés au passage ;
les cris, les chants, les vivais montaient dans l'air perdus
dans les nuages d'une poussière lumineuse. Tout-à-coup une
détonnation ébranla les airs : l'heure de la course allait
sonner. Aussitôt trois Gabrasiens , armés jusqu'aux dents el
montés sur leurs chevaux, s'avançaient .dans la rue où la
course devait avoir lieu, chassant devant eux la foule qui la
remplissait à pleins bords. La multitude refoulée, culbutée
déborda dans tous les sens ; il y eut alors un moment de
tumulte incroyable. On envahissait les maisons ; on escala-
dait les fenêtres ; on se poussait ; on se renversait ; on se
précipitait dans les rues voisines ; el puis, des cris, des jurons,
des imprécations à faire tomber en syncope un sacristain,
un vacarme enfin à troubler les corbeaux dans leur vol. Un
quart d'heure après, les trois commissaires traversaient la
rue devenue libre, et une seconde détonnation se fit en-
tendre. Alors on vit apparaître au sommet de la rue cinq gé-
néreux coursiers qui allaient se disputer un gilet de flanelle
rouge et une grande écharpe de soie blanc et or, digne prix
du vainqueur. Ces chevaux, d'une taille médiocre mais vigou-
reux et ardents, étaient tous les cinq de nobles bêles; crinières
nattées de fleurs, prunelles enflammées, narines fumantes, ca-
chant les refiels miroitant de leur robe soyeuse, sous une selle
de velours et de riches harnais ; et se cabrant, se renversant
sous leur cavalier inébranlable. Un troisième signal annonça
l'instant du départ et les cinq chevaux s'élancèrent sur la
pente raide et rugueuse de la rue. Caché derrière l'angle
d'une muraille, je les vis passer devant moi, rapides comme
un ouragan, ou comme les cavales échevelées de la chasse du