Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                 LETTRES SUR LA SARDAIGNE.                  147

erochées des cages contenant des pigeons et des bartavelles :
pieuses offrandes laissées par les malades, et dont la vente
fait un modique revenu au pauvre religieux qui les garde.
De Sardara à Orislano , le pays ne change pas : ce sont tou-
jours ces horizons durs et inflexibles, ces plaines grillées et
poudreuses, s'allongeant sous un ciel, qui blanchit de cha-
leur comme la voûte d'une fournaise. Ça et là quelques pau-
vres villages : liras, Terra-Rosea , Babylus dressent dans le
ciel leur clocher solitaire, pour guider et encourager les
voyageurs épuisés. Quelquefois une petite vallée creuse la
plaine ; une végétation touffue en couvre les bords ; au-dessus
voltigent des milliers de calandres familières et des guêpiers
aux ailes d'or ; au fond coule une source limpide.
    Un jour, il y a bientôt dix ans de cela , un voyageur tra-
 versant à cheval la plaine Santa-Anna , descendit vers l'une
 de ces fontaines pour y trouver un abri contre le soleil de
 midi ; mais à peine arrivait-il au fond du ravin , que, pous-
 sant un grand cri, il remonta tout effaré et partit au triple
galop. Il avait aperçu, artistement rangées autour de la
source , douze têtes sanglantes, séparées de leurs corps dé-
pouillés. C'était une facétie, assez habituelle aux bandits de
ce temps-là, qui attendaient, cachés dans les buissons, les
voyageurs fatigués, et leur enlevaient la bourse et la vie ;
mais , a cette époque, la civilisation , représentée par la gen-
darmerie royale et le génie civil , n'avait pas encore pénétré
en Sardaigne. Aujourd'hui , des gendarmes parcourent le
pays, et la grande route de Cagliari traverse la plaine. Les
gendarmes sont ce qu'ils doivent être : de beaux et braves mi-
litaires; et la grande roule, le long de laquelle s'échelon-
nent de distance en dislance des cantonnières , offrant au
voyageur un refuge assuré , est sans cesse couverte par les
charriots des marchands d'oranges, les merciers et les épiciers
ambulants : espèce de négociants forrains , qui établissent