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LETTRES SUR LA SARDAIGNE. 145 quelles se dresse , comme pour en marquer le milieu, le rocher de Mont-Réal. Mont-Réal! ne trouvez-vous pas que ce nom , arrivant à la suite de celui de marquis, produit un effet superbe. Telle est la réflexion qui m'est venue à l'esprit, tandis que je gra- vissais à cheval , au grand préjudice de ma peau et de mes pantalons, la croupe pierreuse et aride du monticule que couronnent de vieux murs féodaux ; retraite séculaire et pai- sible des grands vautours blancs de la Sardaigne. Vraiment M. le comte B... , marquis de Mont-Réal, possède là un fier marquisat. A vrai dire, il le possède un peu à la manière dont son gracieux souverain possède le royaume de Jérusalem, où il serait, je crois, fort mal reçu à venir lever des impôts, ou bien encore, comme nos saints évoques de Maroc , Tripoli et autres in partibus infidelium , qui, s'ils se rendaient au milieu de leur diocèse , risqueraient fort d'être écorchés vifs ou embrochés sur le pal. Un mamelon granitique et calciné, auxflancsduquel s'accrochent ça et là quelques gazons jaunis, que broutent les chèvres sauvages ; au sommet des murailles décharnées se dessinant sèchement sur le bleu plombé du ciel, et au-dessus desquelles des vautours gigantesques pla- nent en tournoyant ; tel est le fief de Mont-Réal. Ce tableau fidèle vous en donne une idée exacte ; mais ce qu'il me se- rait impossible de vous faire comprendre , c'est la magnifi- cence de cette position, d'où l'œil plonge sur les plaines do- rées au-dessus desquelles s'élève, comme d'un brasier ardent, une vapeur transparente, et dont les extrémités se perdent à l'horizon dans l'azur des deux mers. Morbleu ! quelle châ- tellenie poétique, romantique et fantastique. Si j'étais Mon- sieur le Marqais je ne me contenterais pas du mot, je vou- drais aussi la chose. A peu de distance de Mont-Réal, sur un terrain qui se durcit et se crevasse sous les rayons ardents du soleil, s'é- 10