Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                         NAPOLEON A LYON.                           117
 le feu en signe de réjouissance. Une foule compacte obstruait les
 abords de l'Archevêché et s'entassait sur les deux bords de la
 Saône, faisant entendre jusqu'à une heure fort avancée de la
 nuit le cri de : Vive l'empereur ! auquel elle mêlait quelquefois,
 comme une plaisante dérision celui de : Vive le roi.... de
 Rome !
    Qui croirait que le même événement dont se réjouissaient tant
 de citoyens, en faisait mourir un autre de frayeur? Le fait est
 pourtant vrai.
    M. de M , véritable fanatico per musica et violoncelliste
assez distingué, réunissait chez lui des artistes ou des amateurs
pour exécuter des quatuors pendant les longues soirées d'hiver.
 Un soir du mois de février j'avais l'honneur de faire à ses petits
 concerts une modeste partie de second violon, dans une œuvre
 de Haydn ; nous en étions à Yandante. Je ne sais si le caractère
mélancolique de ce morceau porta de tristes impressions dans
 l'âme de M. de M        , mais il en interrompit tout-à-coup l'exé-
 cution pour nous adresser le plus sérieusement du monde
 cette question, au moins singulière en un pareil moment :
    » Messieurs, nous dit-il, si Bonaparte allait revenir que nous
 arriverait-il à tous? »
    Un éclat de rire fut la seule réponse qu'on fit à cette étrange
 demande ; mais M. de M            ne riait point, et, tout le reste de la
soirée, il nous parut fort préoccupé du danger qu'il aurait à
courir, lui, noble, ancien émigré, si jamais l'Empereur repa-
raissait en France. Qu'on juge de l'effet que durent produire
 sur un esprit de cette trempe les agitations de la journée du
 10 mars ! Le pauvre M. de M          , auquel la peur avait donné le cou-
rage d'aller par toute la ville s'informer de ce qui se passait et de ce
qui pourrait survenir, se mêlait à tous les groupes, questionnait
chacun, prédisant malheur à tous. Le soir était venu qu'il n'avait
pas encore songé à dîner, bien qu'il eût complètement oublié de dé-
jeuner. Enfin, le teint pâle et livide, les traits altérés, la démarche
chancelante, il regagna son logis, et, en rentrant chez lui, il tomba
frappé d'apoplexie : on le releva mort.