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BIBLIOGRAPHIE 615 qu'il supporte avec une résignation qu'on n'admire pas toujours assez et qui pourraient cependant le pousser aux plus graves extrémités, à une révolte même contre la société, si dans son cœur ulcéré ne se rencontraient pas aussi les nobles sentiments que la foi et l'esprit chrétien y ont déposés. M. Gilles de la Tourette a donc eu une heureuse inspiration en tirant d'un oubli immérité le nom de cet homme de bien, de raconter sa vie, si utilement remplie, et de le placer au rang qu'il a su mériter. Il a pu le faire à l'aide de papiers de famille, de manuscrits précieux et il a jeté ainsi un jour tout particulier sur cette physionomie à peine ébauchée. Pour bien le faire connaître, il ne s'est pas borné à une simple biographie, mais il a placé l'homme au milieu de son époque et fait une large part à l'histoire de son temps et à celle de ses relations. De même pour ses inventions,il a recherché si elles répondaient alors à un besoin d'actualité ; il est remonté à leur origine et il les a suivis dans leurs évolutions. En écrivant son excellent livre, l'auteur a voulu aussi demander justice pour cet homme d'élite qui n'a recueilli pour récompense que la plus noire ingrati- tude de ses contemporains. Théophraste Renaudot était originaire de Loudun et issu de parents protes- tants, en 1586. Cette petite ville ne se souvenait que d'Urbain Grandier, des maléfices que ,ce malheureux aurait jetés à des Ursulineset de son horrible mort sur une de ses places. Aujourd'hui seulement elle commence à deviner que c'est dans ses murs qu'est né l'un des hommes les plus méritants du dix-septième siècle, un philantrope dont l'œuvre humaine allait être si grande et si durable qu'elle devait arriver intacte jusqu'à nous, un organisateur qui, du même coup, allait fonder le journalisme par sa Gazette, la publicité commerciale par ses Bureaux d'adresse et rencontre, et qui, guidé par son amour pour les pauvres, devait introduire en France les Monts-de-Piété et créer enfin les Consultations charitables pour les pauvres malades. Mais le croirait-on? Tout cela parut à ses contemporains un rêve creux, une chimère et au lieu de l'aider dans ces œuvres si simples, si utiles et si pratiques,ils lui suscitèrent les plus sérieuses difficultés. Tout autre que lui se fut découragé, mais sa ténacité, sa conviction intime d'être un homme utile à son pays, lui firent faire litière de tous ces obstacles élevés par l'ignorance, la routine et de basses passions. Cette lutte de tous les jours, cette persévérance que rien ne peut lasser est admirablement racontée par M. Gilles de la Tourette. Sans le défaut d'espace, nous serions heureux de lui emprunter de nombreux passages, entre autres, ce qu'il dit delà fondation de la Gazette. Qui ne lit aujourd'hui les journaux dont la plupart ne sont qu'un affreux poison servi froidement, chaque jour, aux populations ouvrières, par une secte odieuse, en vue de ses coupables aspirations. Mais peu savent la date et les causes de leur création, et on croirait à peine que cette création est due surtout au puissant concours que l'impérieux cardinal de Richelieu donna à Renaudot qui lui avait prouvé que le meilleur moyen pour amoindrir la malfaisante in- fluence des feuilles appelées Nouvelles à la main que les ennemis du cardinal jetaient de temps à autre au public frondeur et friand de racontars, était de leur répondre par une feuille quotidienne et bien renseignée. Le grand ministre avait reconnu, en effet, « que les Gazettes peuvent empescher les faux bruits qui ser- vent souvent d'allumettes aux mouvements et séditions intestines. » Et ce fut le 30 mai 1634 que parut la première Gazette. Le roi même fut un des collabo- rateurs de Renaudot : « Il ne lisoit pas seulement mes gazettes, dit ce dernier, (