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542 LA R E V U E LYONNAISE gamines déjà fardées, des gamins déjà graves. Des mers endormies par le siroco, grands lacs d'huile bleue poussant paresseusement leurs vagues, qu'on ne voit pas glisser et qu'on n'entend pas mourir, jusqu'à la grève étrangement jaune, bordée de rochers noirs à têtes de sphinx. Tout cela était plein de talent, d'un talent très conscien- cieux et très personnel, mais tout cela disparaissait devant une toile plantée sur un chevalet en vedette au milieu de l'atelier. Un paysage de Bourgogne en été. Des rideaux de peupliers alternant avec des saules, d'épais buissons dominés par de vieux chênes, égayés par le va-et-vient des insectes et des oiseaux, des herbes hautes, diaprées de marguerites, de pâquerettes et de boutons d'or, cachant le petit ruisseau que dénonce une ligne de verdure plus foncée, où ruminaient de grands boeufs avec des fils d'argent aux naseaux, des vaches aux mamelles pleines poursuivies par la ga- lopade maladroite de leur progéniture inassouvie, où des chevaux dressaient leurs têtes fières, humant des odeurs de cavales, où des moutons gras paissaient, une mer d'épis blonds, çà et là rougie par les coquelicots, azurée par les bleuets où la caresse du vent metta't l'illusion d'une vague. Juste assez de nuages au ciel pour donner tout son prix au sourire du soleil. Au sein de cette paix, de cette gaieté, de ce bonheur, un homme faisait tache, pâle, courbé, fourbu, ressemblant à l'artiste comme un frère, et, comme lui, personni- fiant la tristesse et la mort. De ce contraste entre la nature et son prétendu roi s'échappait pour monter jusqu'au Créateur une rail- lerie si amère, un reproche si désespéré, que je restai devant la toile, hypnotisé, l'œil fixe, le pied prenant racine. Quand enfin mon admiration déborda, « je ferai mieux », me dit le peintre avec la vaillance de l'artiste et l'aveuglement du poitrinaire. Une fit plus rien. Une crise terrible lui prit ses dernières forces. Le tableau fut vendu pour quelques bank-notes à un Anglais qui, sans y rien comprendre, l'avait trouvé original, et l'emporta dans cette grande caverne insulaire où vont s'enfouir les chefs-d'œuvre du monde entier. C'est la dernière audience de la session d'assises. Depuis deux semaines, dans l'ancien palais mauresque agrémenté d'ogives et de