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148 L A R E V U E LYONNAISE On se déclara enchanté de le revoir, et je dois rendre ce témoi- gnage à ces dames qu'elles le traitèrent aussi bien que s'il lui fût resté plusieurs centaines de mille francs à gaspiller. Cependant je m'étais assis auprès de la maîtresse de la maison et nous échangions quelques mots sur la triste situation de Guy, quand mon regard s'arrêta sur une personne qui m'était complète- ment inconnue et qui formait le plus singulier contraste avec les habituées du lieu. Figurez-vous une jeune fille de vingt à vingt-deux ans environ, vêtue de noir, ne portant aucun bijou. Assise un peu à l'écart, près d'une table, elle feuilletait des journaux illustrés comme pour se donner une contenance. Sa physionomie, son attitude, tout en elle enfin offrait un intraduisible mélange de pudeur, d'embarras, de résignation. Elle paraissait satisfaite qu'on la laissât dans son coin et ne faisait rien pour attirer les yeux. Je priai Lucia Martelli de me donner quelques détails à son sujet. — Elle est ce que nous avons été toutes et elle sera ce que nous sommes aujourd'hui, me dit Lucia d'un ton qu'elle voulait rendre sec et indifférent, mais où je démêlai une certaine pitié, c'est Laura, la sœur de Zoé Reynald qui cause en ce moment avec ce pauvre Guy. — Elle est charmante, en vérité ; je n'avais pas eu encore occa- sion de la voir. — Je la crois bien ! Elle est arrivée depuis peu du fin fond de sa province. — Il me semble, dis-je, qu'elle aurait mieux fait d'y rester. Pourquoi est-elle venue ? — Je n'en sais trop rien, mon cher, je ne puis que vous répéter ce que m'a dit Zoé et ne vous réponds nullement, bien entendu, que ce soit véridique. Le père Reynald, qui vivait dans un trou de quelques chétives petites rentes, est mort il y a deux ou trois mois. Zoé alors a pris sa sœur chez elle et raconte à qui veut l'entendre qu'elle ne la quittera plus et se charge de son bonheur. Voilà ! En ce moment quelques hommes pénétraient dans le salon, entre autres un certain Labourette, grand tripoteur d'affaires louches, toujours fourré, malgré son âge plus que mûr, dans le monde interlope où il dépense sans compter l'argent que lui fournit