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20                         LA R E V U E     LYONNAISE

   Si tels étaient, à l'endroit des combats singuliers, l'opinion du
roi et si ardent son désir d'extirper cette plaie de ses Etats, il est
bien évident que Molière, attaquant de front sur la scène le même
ennemi, était assuré de la protection du monarque. Cet appui ne
lui avait pas fait défaut quand il osa jouer les marquis, les quatre
premiers médecins de la cour, bien reconnaissables sous les noms
grecs dont Boileau aida Molière à les affubler, les précieuses et les
plus redoutables de tous, les faux dévots. Bien loin de défendre les
personnes de son entourage contre les traits de la comédie, plus
d'une fois Louis XIV en avait signalé quelqu'une au poète : témoin
M. de Soyecourt -, grand veneur,et la scène du chasseur dans les
Fâcheux. Du côté du maître, Molière était donc parfaitement en
repos : ce qu'il disait contre le duel ne lui pouvait être qu'infini-
ment agréable. 11 n'avait rien non plus à redouter des nobles ou de
ceux qu'auraient froissés ses attaques : outre qu'on n'osait guère
toucher à un homme que le roi honorait de sa faveur toute parti-
culière et qu'il daignait un jour admettre à sa table, tous les
grands seigneurs auraient pris son parti. La distinction de son ca-
ractère, ses qualités d'homme du monde, son crédit et l'estime gé-
néral dont il jouissait lui avaient assuré une position toute spéciale.
Et c'est à lui principalement que peut s'appliquer cette phrase de
Ghapuzeau, l'auteur du Théâtre François : « Le grand et facile
accès que les comédiens ont auprès du roy et des princes et de
tous les grands seigneurs, qui leur font caresse, doivent fort les
consoler de se voir moins bien dans les esprits de certaines gens
qui.au fond, ne connaissent ni la comédie ni les comédiens. »
   Au surplus, les violences n'étaient guère à la mode sous un
prince ami de la régularité, et, comme dit Molière lui-même dans
son Tartufe :
               Nous vivons sous un i égne et sommes dans un temps
               Où par la violence on t'ait mal ses affaires.

  On le voit : rien ne mettait les duellistes à l'abri des flèches
malignes que la Muse comique pouvait leur décocher.

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     « La scène de la chasse no se Irouvait pas dans la pièce à la première représenta-
lion ; mais Louis XIV montrant du doigt à Molière M. de Soyecourt, grand veneur,
lui dit : «Voilà un original que vous n'avez pas encore copié. » Le lendemain, la
scène du chasseur élait faite etexéeulée. «(Sainte-Beuve.)