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        Ce qui était vrai en 1843 l'était encore en 1850, et un autre journal (1) se livrait à
  des considérations analogues sur le peu de discernement du public d'alors, à propos
  d'une série de soirées d'opéra données au Grand-Théâtre par Mlle Alboni, du
  Théâtre Italien, dont la voix de contralto incomparable s'alliait à un art du chant
  accompli, et qui a été incontestablement une des plus grandes cantatrices du xixe siè-
  cle. Faisant allusion à une représentation de la Favorite, où elle avait eu pour parte-
  naire, dans le rôle de Fernand, un ténor débutant du nom de Philippe, il faisait, pour
 la déplorer, cette peu flatteuse constatation :
       « Le public n'a pas su apprécier le trésor qu'il a possédé plus longtemps que ne le
 méritait l'enthousiasme très modéré de son accueil. Nous voudrions pouvoir oublier
 cette soirée qui sera une des plus tristes pages de l'histoire artistique de Lyon, celle où
 l'admirable cantatrice a été presque écrasée sous le succès de M. Philippe. Le fait est
 que M. Philippe chante plus fort ».
       Mais l'éducation du public ne se fait pas en un jour, et, ce n'était certes pas, je le
 répète, le répertoire à la mode pendant la plus grande partie du XIXe siècle, le genre
 conventionnel et faux de l'opéra meyerbeerien, qui était capable de le façonner. De
 plus en plus, au contraire, il restait cantonné dans une conception immuable du
 théâtre lyrique, et dans des habitudes qui, à force d'être maintenues et consacrées par
 le temps, avaient fini par prendre à ses yeux le caractère auguste, presque sacré de
 traditions intangibles. Il était jaloux des prérogatives qu'il s'était arrogées, qu'il consi-
 dérait comme essentielles au maintien du niveau artistique du Grand-Théâtre ; il
 n'entendait pas s'en laisser dépouiller.

                                             B
      J'ai relevé plus haut l'inanité des efforts de la municipalité en 1845, pour corriger
 le système des débuts. Cette question fut une de celles sur lesquelles les Lyonnais se
 montrèrent le plus longtemps et le plus énergiquement intraitables. Ils voulaient avoir
 le droit de juger eux-mêmes les artistes engagés et de se prononcer sur leur admis-
 sion. La résistance qui avait accueilli l'arrêté de M. le maire de Lyon, sur la régle-
 mentation des débuts, se reproduisit, avec une acuité accrue encore, en 1865, quand
 un directeur eut la malencontreuse idée de les vouloir supprimer purement et simple-
 ment.
      Ce directeur s'appelait Raphaël Félix et il était le frère de la grande tragédienne
 Rachel. L'usage des trois débuts avait été consacré pour Lyon par un arrêté préfec-
toral du 5 novembre 1852, ainsi conçu dans son article 24 : « Les artistes nouveaux
doivent faire trois débuts ». Mais un fait nouveau venait de se produire en 1865. Le
second Empire avait décrété la liberté des théâtres, et les instructions ministérielles,
applicables à toute la France, qui réglaient l'exécution de la loi, laissaient aux direc-


    (1). Salut public du 18 mars 1850.