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     Un incident du même genre avait eu, en 1842, des conséquences plus fâcheuses
pour le directeur d'alors, qui n'était autre que Siran, l'ancien premier ténor de 1831,
celui auquel le public prétendait interdire, comme on l'a vu plus haut, par souci de la
sauvegarde de ses cordes vocales, de loger aux Broteaux. Il avait eu la malencontreuse
idée de demander à un artiste des Célestins, nommé Dorsay, de se charger, par com-
plaisance, d'un rôle dans Masaniello, un vieil opéra de Carafa, bien oublié aujourd'hui.
Le rôle principal en était rempli par un comédien et un chanteur de talent distingué
Lafeuillade, qui y fut très applaudi, et tout se passa bien jusqu'au troisième acte ;
mais quand, à ce moment-là, le malheureux Dorsay apparut, il se heurta à un si
furieux ouragan de sifflets, et l'hostilité qui se déchaîna contre lui revêtit de telles
proportions, qu'il fallut faire évacuer la salle, que, le lendemain, l'autorité, pour
donner à l'effervescence le temps de s'apaiser, prescrivit la fermeture du théâtre, et
que Siran dut donner sa démission.




      La presse, qui aurait eu le devoir de mettre le public en garde contre ses propres
entraînements, mais qui ne s'y hasardait que rarement, et avec une certaine timidité,
les encourageait trop souvent, au contraire, par sa complaisance à les justifier,
      La troupe lyrique du Grand-Théâtre possédait, en 1825, et depuis plusieurs
années déjà, une artiste, Mlle Folleville, d'une intelligence très cultivée, poétesse à ses
heures, comme sa camarade Marceline Desbordes-Valmore, et dont on était unanime
à reconnaître le double talent de comédienne et de musicienne accomplies. D'aucuns
cependant commençaient à ne plus la trouver assez jeune pour les rôles de chanteuses
légères, de Philis, suivant l'expression alors usitée. Le soir du 29 août, dans une pièce
intitulée l'Officier et le Paysan, un coup de sifflet jaillit du parterre, à son entrée en
scène, et comme elle n'était pas accoutumée à un pareil traitement, elle rentra dans la
coulisse et se refusa à reparaître, malgré les applaudissements prolongés par lesquels
le public s'efforçait généreusement de lui faire oublier cet outrage. Le Journal du
Commerce, dans son compte rendu du lendemain, la blâma vertement de son obstina-
tion, et il ajouta cette phrase significative : « Le public assemblé est une puissance
qu'on ne doit jamais bouder : il lui faut un respect sans borne ».
      Telle était bien, en effet, l'opinion qu'avait de lui-même le public ; mais n'eut-il
pas été plus opportun de l'amener à un sens plus juste et surtout à un usage plus
modéré des prérogatives qu'il s'attribuait i Quels ménagements attendre de lui, si on
érigeait ainsi en dogme son prétendu droit à se montrer impitoyable i
     Aussi le voit-on, à chaque instant, s'acharner sur les infortunés artistes qui, pour
une raison ou pour une autre, se sont attiré son antipathie, et les prendre violemment
à parti, quand, sous l'aiguillon des sifflets, il leur arrive de regimber.
      Le 11 novembre 1827, un jeune ténor, nommé Rodel, qui précédemment,
paraît-il, avait fait les délices de Rouen et de Nantes, mais qui était beaucoup moins
goûté des Lyonnais, crie : « Merci ! » aux siffleurs ameutés contre lui après son air :